
« Je n’ai jamais vu, au cours de ma longue carrière de 30 ans aux Nations Unies, où j’ai toujours été dans des camps de réfugiés toute ma vie, des camps attaqués de cette manière. De petites vicissitudes entre réfugiés et populations locales, j’en ai vu, un peu en Somalie, pas en Angola, mais rien de comparable à ce qui s’est passé là-bas, absolument pas. »
LINO BORDIN
Lorsque plus de 1,2 million de réfugiés ont fui vers l’est du Zaïre en juillet 1994 pour échapper à l’invasion du Front patriotique rwandais (FPR) dirigé par les Tutsis et au changement de régime au Rwanda, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) et d’autres agences humanitaires ont été confrontés à une catastrophe humanitaire.
Une épidémie de choléra au Zaïre en juillet-août 1994 a vu environ 50 000 Rwandais succomber à la maladie.
UNHCR a échoué dans son mandat de protection en occultant délibérément ce qui se passait réellement au Rwanda sous le nouveau régime du FPR dirigé par les Tutsis, allant jusqu’à dissimuler le rapport Gersony qu’elle avait commandé. Les conclusions du rapport Gersony de 1994 faisaient état des massacres systématiques commis pendant et après l’invasion de 100 jours, que le rapport assimilait à des actes de génocide commis par le FPR contre les Hutus au Rwanda.
Cette répression a eu des conséquences désastreuses : elle a obligé le HCR à ne pas respecter sa politique de non-refoulement des réfugiés en imposant à plusieurs citoyens rwandais exilés à l’est du Zaïre à retourner chez eux , or lorsque la situation dans le pays d’origine n’est pas sûre cette option ne peut être envisagée. Au lieu de faciliter le retour, le HCR a changé sa politique pour l’encourager. Cela était une totale violation du mandat du HCR et aux autres instruments juridiques internationaux.
Pire encore, lorsque le Rwanda et l’Ouganda ont envahi le Zaïre en 1996, bombardant les camps de réfugiés et pourchassant et assassinant jusqu’à 800 000 réfugiés rwandais dans la forêt zaïroise, ces crimes n’ont pas été dénoncés mais au contraire étouffés.
Dans un livre à paraître sur ses expériences dans les camps de réfugiés du monde entier, où il s’est souvent trouvé en première ligne lors de crises majeures, Lino Bordin, fonctionnaire de terrain du HCR, consacre un chapitre à ses experiences de 1994 à 1997 au Zaïre, l’actuelle République démocratique du Congo.
Dans cet entretien avec la cinéaste Nicoletta Fagiolo, Bordin relate ses trois années passées comme officier de terrain à Goma et Bukavu, au Zaïre.
En ces jours sombres où Goma est à nouveau attaquée par un proxy rwandais, le M23, remontons le temps et examinons le début de cette guerre.
Nicoletta Fagiolo: Quand êtes-vous arrivée au Zaïre ?
Lino Bordin: Je suis arrivée par Nairobi car siège principal du HCR de cette zone d'Afrique se trouve là-bas, et tout le monde parlait de ce qui se passait au Rwanda, j'y suis restée 3-4 jours, ils m'ont fait un briefing sur ce qui se passait, sur ce que je devais faire plus ou moins, puis je suis partie pour Goma le 24 octobre 1994.
Le choléra venait de se terminer, on estime qu'environ 50 000 personnes sont mortes du choléra, au fait ils les ont enterrées avec des pelleteuses, ils ont jeté de la chaux dessus, puis les ont recouvertes.
Quand je suis arrivée, les camps étaient déjà plus ou moins formés, mais il fallait les définir, c'est-à-dire qu'il fallait lancer les programmes de santé, d'hygiène et d'école, organiser les camps, trouver la logistique pour la nourriture.
Nous avions environ 1 million 200 000 réfugiés, donc le travail était très intense et très difficile, aussi parce que tout ce dont nous avions besoin devait être amené d’une côte africaine jusqu’en Afrique centrale.
C’était moi qui m’occupais directement des camps : chaque semaine, je visitais 3-4 camps, nous faisions de grandes réunions avec les représentants des réfugiés : ils avaient divisé les camps par quartiers et chaque quartier avait élu ses propres représentants. Les grands camps comme Mugunga par exemple comptaient 300 000 habitants, mais il y avait aussi Kibumba ou Katale. Nous avions toujours de 100 à 120 personnes présentes dans ces grandes réunions.
A un moment donné, nous avons décidé de resserrer un peu l'assistance pour essayer de les pousser à rentrer au Rwanda et tout le bureau a adopté cette politique, ils espéraient pouvoir obtenir un rapatriement substantiel.
Les réfugiés militaires rwandais étaient au Lac Vert, ils n'étaient pas assistés parce qu'ils étaient militaires et n'avaient pas déposé les armes, c'est pourquoi ils étaient dans un camp à part, alors que nous ne nous occupions que des civils. Pourtant, ces gens devaient aussi d'une manière ou d'une autre, manger et avoir des services, donc les réfugiés leur donnaient ce qui restait, ou ils passaient des accords.

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