Luc Marchal dans une interview avec Charles Onana
Quatre experts autoproclamés en géopolitique de la région des Grands Lacs africains, Bojana Coulibaly, Yoan Gwilman De Souza, Jessica Mwiza et Romain Poncet (aucun d’eux n'a jamais écrit quelque chose de substantiel dans ce domaine ) ont écrit un article intitulé Un procès contre la haine pour le journal Le Point à propos du procès qui s'est déroulé à Paris du 7 au 11 octobre 2024 contre le journaliste d'investigation et historien le Dr Charles Onana et son éditeur Damien Serieyx, accusés de négation de génocide pour un livre publié en 2019 sur l'opération Turquoise menée par la France sous mandat de l'ONU au Rwanda en 1994.
Les parties plaignantes sont six ONG basées en France: Ibuka-France, Survie, la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH), la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA), le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) et La Ligue des Droits de l'homme (LDH).
Bojana Coulibaly, Yoan Gwilman De Souza, Jessica Mwiza et Romain Poncet écrivent dans l'article du Le Point sur le premier témoignage du procès, celui de Luc Marchal, ancien commandant de la Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda (MINUAR), secteur de Kigali : « L'ancien colonel Luc Marchal, responsable du secteur de Kigali de la MINUAR entre décembre 1993 et avril 1994, s'est présenté comme un expert du pays en raison de ses années de service au Zaïre dans les années 1970, avant d'attribuer au FPR l'entière responsabilité du génocide. Ce vétéran de l'opération militaire de Kolwezi a conclu son passage au bar sous les applaudissements d'une partie de la salle, où l'on voyait des écharpes aux couleurs de la RDC ».
Par son témoignage du 7 octobre 2024, Luc Marchal n'attribue pas l'entière responsabilité du génocide au Front patriotique rwandais (FPR) dirigé par certains Tutsis, il explique plutôt en détail sous serment ce dont il a été témoin.
Cependant, si telle est la conclusion à laquelle sont parvenus les auteurs de l'article, parmi lesquels un témoin à charge du procès Bojana Coulibaly, peut-être que des conclusions aussi graves tirées du témoignage d'un personnel de haut niveau de l'ONU, ayant une expérience de terrain sur les moments clés de l'histoire récente du pays, devraient appeler à une réécriture sérieuse de la version caricaturale et raciste qui domine aujourd'hui l'histoire récente du Rwanda.
Le témoignage était bien plus riche que les minces deux phrases ci-dessus, mais probablement inconfortable pour les partisans d'un récit historique tronqué. Voyons ce qu'il a vraiment dit :
Luc Marshal a commencé par expliquer son parcours et comment il s'est retrouvé au Rwanda : « J'ai d'abord vécu 5 ans au Zaïre (aujourd’hui RD Congo A/N) en tant que coopérant militaire. En 1977, j'ai assisté à la guerre de 80 jours au Katanga et, en 1978, à la deuxième invasion, sous le drapeau belge, de Kolwezi. En 1990, j'étais conseiller du ministre belge de la Défense. En octobre 1990, j'ai assisté aux premières attaques du Front patriotique rwandais (FPR). Ce furent les premières incursions du FPR qui durèrent jusqu'en décembre 1990. En mai 1993, j'ai présenté ma candidature au poste de commandant du secteur de Kigali de la MINUAR. Mon souhait était de mettre mes connaissances militaires au service de cette crise. Et en tant que Belge, je connaissais aussi le problème rwandais entre les Hutus, les Tutsis et les Twas. J'ai voulu mettre l'art de la consultation au service de la paix, car j'avais un accès direct aux hautes autorités tant du coté FPR et du gouvernement que de la MINUAR. J'ai toujours gardé une forte neutralité ».
Le non-respect par le FPR de l'embargo sur les armes
Le généra Luc Marchal a ensuite poursuivi son témoignage en expliquant le contexte militaire dans lequel il a servi au Rwanda : « au début de l'année 1993, le contexte militaire se résumait à une mission : veiller à la stricte application du protocole d'accord d'Arusha signé le 24 décembre 1993 par Paul Kagame et Augustin Bizimana, sur la possession et le port d'armes par les deux parties. L'accord d'Arusha établissait un plan de partage du pouvoir entre le gouvernement majoritairement Hutu et le Front patriotique rwandais dirigé par des Tutsis, afin de mettre fin à la guerre qui durait depuis trois ans ».
M. Marchal a souligné sous serment au tribunal que le gouvernement rwandais de Habyarimana avait respecté l'accord, ce qui n'a pas été le cas de Paul Kagame et du FPR. Luc Marshal a également remarqué que le FPR avait des attitudes violentes à l'égard des Tutsis de l'intérieur. (Le FPR est un mouvement né en Ouganda et composé de Tutsis en exil depuis la révolution sociale de 1959 A/N).
Luc Marchal a déclaré : « Le rôle du commandant de la MINUAR, le général Dallaire, auteur de J'ai serré la main du diable, était avant tout de calmer le FPR, dont l'attitude agressive provoquait des violences contre les Tutsis vivant au Rwanda. Lorsque le général Dallaire a tenté de faire comprendre à Paul Kagame que son attitude était néfaste pour les Tutsis, ce dernier lui a répondu : « on ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs ». En somme, ce qui arrivait aux Tutsis à l'intérieur du Rwanda importait peu au FPR tant qu'il parvenait à atteindre son objectif de prendre le pouvoir par un changement de régime. Pour Paul Kagame, les Tutsis de l'intérieur avaient fait le choix de rester en 1959 au lieu de quitter le Rwanda. Ils auraient plutôt dû, selon le FPR, s'exiler et rejoindre plus tard le FPR ».
La politique de la chaise vide du FPR
Luc Marchal affirme que si le FPR avait vraiment voulu participer au jeu démocratique, il aurait occupé la place qui lui revenait dans l'arène politique. Le général poursuit en soulignant que le FPR ne cherchait pas une issue pacifique à la guerre, ce que révèle sa politique de la chaise vide lorsqu'il s'agit de mettre en place de nouvelles institutions après l'instauration d'un système multipartite.
C'est ce qu'il dit : « Le 5 janvier 1994, le président Habyarimana a prêté serment, mais l'assemblée nationale ou le gouvernement de transition n'a pas pu se former. Les efforts pour cette mise en place ont été respectés par tous, sauf par le FPR qui l'a boycotté. En effet, l'accord avait été finalisé mais le FPR refusait de l'appliquer. La mise en place de ces institutions a donc été empêchée.
Malgré l'embargo imposé tant au gouvernement rwandais qu'au FPR, ce dernier constituera dans la zone frontalière tout un arsenal, une montée en puissance de l'armement pour mener ensuite une grande offensive militaire. J'étais observateur, quelle est la particularité d'un observateur militaire ? Ma qualité d'observateur m'oblige à travailler le jour, jamais la nuit. Mais qu'avons-nous remarqué ? Pendant la journée, tout était calme mais, le soir, la nuit, les observateurs ont entendu des bruits de véhicules circulant près de la frontière ougandaise. Tout cela est contraire aux initiatives prises lors de la signature des accords d'Arusha. Pourquoi ces hostilités ont-elles repris ? Le 7 février 1994 à 16h30, plusieurs batailles ont eu lieu, où le FPR a été le premier à lancer ces attaques. Après l'attentat qui a tué le président Habyarimana, la ville est restée calme. Les Hutus n'ont pas attaqué. En agissant de la sorte, aucun bataillon du FPR ne s'est soucié du sort des Tutsis vivant au Rwanda.
Le refus constant du FPR d'accepter un cessez-le-feu proposé par la MINUAR et le gouvernement rwandais et le fait de les voir attaquer de cette manière, indique que le FPR, aucun bataillon du FPR, n'avait la volonté de mettre fin aux massacres».
Le FPR a volontairement sacrifié les Tutsi de l'intérieur.
Le généra Luc Marchal poursuit : « Si le sort des Tutsis vivant au Rwanda avait été important pour le FPR, il n'aurait jamais agi de la sorte. Nous aurions pu arrêter la guerre si le FPR avait accepté d'appliquer l'accord de paix. La reprise de la guerre a commencé immédiatement après l'assassinat des deux Présidents. Et ce que j'ai constaté sur le terrain, c'est que le FPR s'était déjà préparé à la guerre. L'arsenal militaire était prêt. L'effort de guerre était préparé depuis trois ans.
M. Marchal aborde ensuite le livre qui est au centre de ce procès et dont il a écrit la préface : « En ce qui concerne le livre, mon expérience personnelle est que j'ai fait partie du jury de la thèse de doctorat de Charles Onana. J'ai lu le livre. La qualité de cette prestation scientifique a été unanimement reconnue et soulignée par les membres du jury. Ce livre est une version condensée de la thèse de doctorat. J'exprime toute ma considération pour le travail effectué par Charles Onana depuis plus de 20 ans pour rendre justice à toutes les victimes de la région des Grands Lacs, ainsi qu'à celles du Congo.
Il fut un temps, j'ai connu cette période de déstabilisation, où tout était dit. Les nombreuses déclarations mensongères de l'époque avaient pour but soit de déstabiliser la MINUAR, soit de la forcer à prendre parti. De nombreuses fausses informations circulaient, une stratégie claire de déstabilisation visant le président Habyarimana. Théoneste Bagosora a été accusé d'avoir planifié le génocide, mais la vérité est qu'à l'époque Bagosaro et le gouvernement intérimaire ont supplié la MINUAR de mettre en place un processus de paix.
En entrant dans la ville de Kigali avec mon chauffeur le jour où l'avion a été abattu, je n'ai rencontré aucun élément militaire qui aurait pu suggérer une quelconque planification. Théoneste Bagosora s'est vu confier le rôle d'organisateur. Mais la vérité est qu'au moment de l'attaque de l'avion, il rendait visite au bataillon Bangladesh de la MINUAR qui venait d'arriver en
ville ».
Dans son intervention, le colonel Luc Marchal a souvent évoqué l'attitude du FPR et son apparente indifférence à l'égard des Tutsis vivant au Rwanda. Pour le colonel Luc Marchal, il est évident que le but de Kagame n'était pas de sauver les Tutsis : « Paul Kagame a refusé de sauver les Tutsis. Les membres du FPR étaient divisés en trois positions: une position douce, une position moyenne et une position extrémiste. Pour ces derniers, les Tutsis de l'intérieur étaient considérés comme des collaborateurs. Ils n'ont aucune valeur. Il aurait suffi de créer des zones protégées où les Tutsis auraient pu se réfugier, mais le FPR voulait prendre le pouvoir et a donc refusé de le faire. Surtout, selon le FPR, il n'était pas nécessaire que des troupes étrangères interviennent dans le nord. Lorsque l'ONU a voulu intervenir, Kagame a argumenté que c'était inutile car il n'y avait plus de Tutsis à sauver ».
Luc Marchal affirme qu'il a fallu réorganiser la MINUAR pour éviter que l'aérodrome de Kigali ne tombe aux mains du FPR.
Luc Marchal affirme : « Le FPR n'a pas fait d'actions significatives pour sauver les Tutsis. Le FPR menait une guerre. Et le but de cette guerre était de prendre le pouvoir. Après la deuxième attaque du FPR, les collines de Kigali (teintées des tentes bleues et blanches des réfugiés internes chassés de leurs maisons par le FPR) où vivaient un huitième de la population, un million de personnes, constituaient une véritable bombe à retardement ».
L'objectif ultime du FPR: le changement de régime
Le 6 avril 1994, le Rwanda subit une double décapitation : il perd son président ainsi que le chef de l'armée (le général de division Déogratias Nsabimana, chef d'état-major de l'armée rwandaise, a également été tué dans l'attentat, Ndlr). C'est précisément à ce moment que le FPR a choisi de lancer une grande offensive militaire à partir de ses positions dans le nord du pays. Cette offensive était en totale contradiction avec les accords de paix d'Arusha, et se terminera trois mois plus tard par une prise de pouvoir totale, sans aucun partage. Le FPR justifie cette décision unilatérale par la nécessité de mettre fin aux massacres de Tutsis.
Luc Marchal a souligné lors du procès la justification du FPR : « Un prétexte improbable puisque ses troupes avaient déjà commencé leur offensive dans le nord du pays et ce, en l'absence de toute agression envers les Tutsis. La machine diabolique est lancée. Toutes les demandes de cessez-le-feu formulées par la MINUAR ou les FAR (armée nationale rwandaise A/N), afin de mettre fin aux tueries qui se multiplient dans la capitale, et d'arrêter un génocide en gestation, restent lettre morte. Tout se passe comme si le FPR craignait d'être contraint de mettre un terme à son projet d'accession au pouvoir par les armes ».
Luc Marchal poursuit : « Le 7 avril, c'est le FPR qui a commis le premier massacre de masse à Kigali. L'armée de Kagame a massacré les Hutus peu après l'assassinat du président Hutu Habyarimana. Parmi les personnes massacrées, il y avait surtout des professions libérales, des médecins, des avocats, des enseignants. Tous ces gens n'avaient rien à voir avec l'armée. Le FPR a utilisé des listes de noms pour désigner les personnes qu'il visait. Après ces assassinats, des réactions automatiques se déclenchaient ». Le colonel ajoute : « il fallait tuer pour ne pas être tué.
Les cibles préférées de Paul Kagame sont les écrivains et les journalistes. Il veut absolument faire taire leurs voix. Il veut que tous ceux qui ont quelque chose à dire qui va à l'encontre de sa version se taisent. Et parmi ces personnes, il y a Charles Onana. Nous avons également assisté à la mort de Seth Sendashonga et de beaucoup d'autres ».
Marchal a également cité le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour le Rwanda et chef de la MINUAR, Jacques-Roger Booh-Booh, qui a écrit que le FPR s'opposait catégoriquement à la paix.
Il conclut : « Dans la nuit du 6 au 7 avril, l'armée nationale rwandaise, les soldats des FAR, sont rentrés dans leurs casernes, nous avons circulé dans Kigali sans voir de soldats ni de patrouilles organisées. Le FPR a attaqué juste après l'attentat de l'avion et cela prouve qu'il était prêt depuis des mois. Après le 6 avril, c'est le chaos total, les pillages, les vols et les gendarmes sont occupés à rétablir l'ordre. Les premiers massacres sont les centaines de personnes tuées le 7 avril par le FPR avec des listes : professions libérales, médecins, enseignants, avocats. Début avril, le FPR aurait refusé toute intervention de la MINUAR et toute demande de cessez-le-feu de l'armée et du gouvernement rwandais visant à mettre fin aux massacres. Le FPR ne voulait que la guerre et son but n'était pas de sauver les Tutsi ».
L'officier belge conclut que les troupes du FPR ne sont pas venues en aide à leurs « frères tutsis mais semblent vouloir poursuivre leur objectif de changement de régime et de prise de pouvoir par la force ».
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