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Writer's pictureNicoletta Fagiolo

Le procès Charles Onana et le changement de régime de Kagame de 1990 à 1994, soutenu par les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Ouganda

Updated: Dec 8, 2024




Passons maintenant à d'autres phrases parmi les 16 que six ONG, se portant parties civiles, ont choisies à Paris pour attaquer Charles Onana et son éditeur Damien Serieyx comme négationnistes du génocide Tutsi.

 

Les autres articles sur ce procès sont disponibles ici

 

« Paul Kagame et ses hommes n’ont jamais sauvé les Tutsis d’un quelconque « génocide » et ils n’ont jamais envisagé cela. » (page 456)

 

« Continuer à pérorer sur un hypothétique « plan de génocide » des Hutus ou une pseudo-opération de sauvetage des Tutsis par le FPR est une escroquerie, une imposture et une falsification de l’histoire. » (page 460)

 

« L’offensive médiatique régulière des accusations lancées par le régime de Paul Kagamé contre l’opération Turquoise vise simplement à ce que l’on ne regarde pas de plus près les massacres commis par les deux parties et surtout à dissimuler l’obsession d’une conquête du pouvoir par les armes et par la violence. » (page 461)

 

Ces trois phrases sont toutes tirées d’un sous-chapitre dont le sujet est centré sur les conséquences militaires et humanitaires de l’agression du 1er octobre 1990 par le Front patriotique rwandais (FPR). Dans ce chapitre, Onana cite des sources allant d’anciens soldats du FPR, aux d’anciens responsables du gouvernement rwandais ainsi que du personnel de l’ONU sur le terrain à l’époque, qui soulignent tous que le FPR avait un objectif précis : un changement de régime. Ce fait a été corroboré au procès par de nombreux témoins d’Onana, parmi lesquels l’activiste rwandais des droits de l’homme Joseph Matata, l’ancien colonel Luc Marchal de la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR) et l’ancien ambassadeur de Belgique au Rwanda Johan Swinnen.

 

Le fait le plus étonnant que nous ayons entendu au procès est peut-être le fait que Luc Marchal ait dit de se souvenir que de nombreux Tutsis vivant au Rwanda lui avaient dit à l’époque qu’ils avaient peur du FPR.

 

Il est surprenant que les plaignants aient choisi ces phrases pour accuser Charles Onana et son éditeur Damien Serieyx de négation du génocide, car une déclaration similaire a été faite par l’un des plaignants dans ce procès, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), dans un rapport d’avril 1999 coécrit avec Human Rights Watch, Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda. Il y a vingt-cinq ans, ils écrivaient : « Le génocide a eu lieu dans le contexte d’une guerre que le FPR était désireux de gagner, plutôt que de simplement sauver les Tutsis. » Ils soulignent : « La stratégie du FPR, admirée par d’autres experts militaires, a peut-être offert la meilleure chance de remporter une victoire militaire, mais elle ne représentait pas la meilleure stratégie pour sauver les Tutsis. » [i]

 

L’ancien soldat du FPR Abdul Ruzibiza, dans son livre Rwanda, l’Histoire secrète paru en 2005, explique en détail que l’objectif de sauver les Tutsis n’était pas au premier plan de la stratégie du FPR : « toutes les localités et villes (Bugesera, Kibuye, Butare, Rwamagana et autres) à forte densité de Tutsis étaient parfaitement connues du haut commandement de l’APR (Armée Patriotique Rwandaise, la faction armée du FPR), mais celui-ci a fait le choix de ne rien entreprendre pour sauver cette population malgré l’insistance des hommes de troupe et des officiers subalternes. » [ii]

 

Souvent, l’armée du FPR se trouvait à quelques kilomètres des Tutsis en danger et pourtant, elle ne venait pas à leur secours. Abdul Ruzibia rappelle que de nombreux soldats du FPR se suicidaient car ils ne supportaient pas de pas venir au secours des personnes tuées sous leurs yeux. Les anciens membres de l’aile armée du FPR, Abdul Ruzibiza, le colonel Christophe Hakizabera et James Munyandinda évoquent également un modus operandi macabre du FPR, où des milices Interahamwe étaient infiltrées et ont commis des massacres. Dans son récit poignant de trois décennies de persécution judiciaire au niveau mondiale contre les Hutus, Malheur aux vaincus, l’analyste géopolitique congolais Patrick Mbeko cite le cas du massacre de Bisesero que la journaliste et auteur Judie Rever a découvert en 2019. [iii]

 

Même la journaliste belge et apologiste pro-Kagame Colette Braeckman a écrit en 2005 : “Kagame et les siens, tacticiens militaires avant tout, ne sont pas de ceux qui hésitent à sacrifier des civils, y compris des Tutsis, si tel doit etre le prix à payer pour arriver à leur fin.” [iv]

 

L’avocat, militant des droits de l’homme et ancien ambassadeur du Rwanda à Paris Jean-Marie Ndagijimana, qui devait témoigner en faveur d’Onana lors de ce procès mais n’a pu le faire en raison d’un problème bureaucratique, a écrit en 2009 un livre entier sur le sujet : Paul Kagame a sacrifié les Tutsi, à savoir les Tutsis de l’intérieur, ceux qui vivent au Rwanda. Il souligne également que Kagame n’a jamais eu l’intention de protéger les familles tutsies de l’intérieur du Rwanda, mais seulement de les utiliser dans sa tentative de prendre le pouvoir par la force des armes : « Le FPR et le gouvernement américain ont tout fait pour que nos parents ne soient pas épargnés par ces massacres », écrit Ndagijimana. « Ils ont mis un obstacle sur l’autre pour empêcher l’ONU d’envoyer des troupes internationales pour arrêter le génocide, dans le seul but de permettre à Kagame d’accéder au pouvoir. »[v]

 

Onana souligne sans relâche dans ses écrits la distinction cruciale qu’il faut garder à l’esprit, lors de l’analyse de l’histoire du Rwanda, entre la population tutsie et le FPR dirigé par les Tutsis.

 

Le célèbre expert du Rwanda Filip Reyntjens écrit dans un livre de 2021, Le Génocide des Tutsi au Rwanda, qu’il n’existe pas d’histoire écrite sur la guerre rwandaise de 1990-94, car la reconstruction historique s’est concentrée exclusivement sur le génocide. C’est pour le moins trompeur, car Reyntjens ignore tout simplement les nombreux témoignages écrits de première main des Rwandais ; l’analyse militaire quotidienne de la guerre par les professeurs Alan Stam et Christian Davenport ; les historiens et analystes géopolitiques Charles Onana, Patrick Mbeko, Robin Philpot, Justin Podur ou Barrie Collins, pour n’en citer que quelques-uns, qui se sont tous concentrés sur la reconstruction de la guerre.

 

Le président ougandais Yoweri Museveni avait alors déclaré que les soldats qui avaient envahi le Rwanda en octobre 1994 l’avaient fait à son insu, car ils avaient fait défection de l’armée nationale ougandaise. Après leur première invasion, le FPR fut repoussé de l’autre côté de la frontière en l’Ouganda avec l’aide des forces zaïroises et françaises et un cessez-le-feu fut signé le 26 novembre 1990. L’historien Barrie Collins, dans son excellent livre de 2014 Rwanda 1994: The Myth of the Akazu Genocide Conspiracy and its Consequences, Rethinking Political Violence, (Le mythe de la conspiration du génocide de l’Akazu et ses conséquences, Repenser la violence politique), pose des questions cruciales qui sont restées sans réponse à ce jour : « Comment se fait-il que les déserteurs vaincus aient pu retourner en Ouganda en toute impunité et se regrouper et réarmer pour une nouvelle guerre contre le voisin de l’Ouganda ? Comment Kagame et plusieurs autres candidats au poste de responsable du FPR ont-ils pu recevoir une formation militaire dans divers endroits aux États-Unis en tant que citoyens ougandais, puis être autorisés à retourner en Ouganda et à reprendre une guerre immédiatement après la défaite d’une force d’invasion de « déserteurs » illégaux ?[vi]

 

Le propagandiste pro-Kagame de l’époque, Gérard Prunier, qui est toujours considéré comme une référence dans l’histoire du génocide rwandais, soulignait dans son livre Rwanda : le génocide que le gouvernement intérimaire installé après la décapitation du gouvernement rwandais le 6 avril 1994 n’avait rien fait pour tenter de mettre un terme aux massacres. En fait, c’est tout le contraire : le gouvernement intérimaire a appelé à de multiples cessez-le-feu pour pouvoir consacrer ses forces militaires à la protection de la population, ce que le FPR a chaque fois refusé. Onana cite cinq exemples d’appels au cessez-le-feu de la part du gouvernement intérimaire pour le seul mois d’avril 1994.[vii]

 

L’historien Barrie Collins cite un ancien ministre ougandais de la seconde administration Obote, Peter Otai, sur la préparation méticuleuse de cette guerre : le financement de la guerre a été débloqué par le programme d’ajustement structurel de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, qui a également obligé l’Ouganda à réduire considérablement son armée. Barrie Collins écrit : « Tout en les chassant publiquement de la NRA ( National Resistance Army, l’armée nationale ougandaise), Museveni a discrètement fait sortir les Rwandais de l’« armée dans l’armée » secrète pour les placer dans une armée de réserve distincte. Il a également fait sortir son jeune frère Salim Saleh de la NRA pour qu’il prenne le commandement de cette nouvelle armée. » Collins souligne que le problème des réfugiés, ainsi que la libéralisation politique, progressaient de manière positive, de sorte que le FPR « devaient immédiatement prendre les armes contre Kigali, sous peine de devenir des rebelles sans cause.» Collins demande : « Comment l’aile armée d’une organisation représentant l’élite d’un groupe ethnique minoritaire pouvait-elle espérer renverser l’État rwandais et conserver le pouvoir ? »[viii] Pour Collins, la réponse réside dans le soutien étranger.

 

Le schéma impérialiste américain de changement de régime est répétitif : un chef d’État est diabolisé par des campagnes médiatiques incessantes (il y a toujours une personnalisation du pays ciblé, dans ce cas le président Juvénal Habyarimana) et affaibli par des institutions financières néolibérales et des sanctions bilatérales, avant qu’une action militaire directe, via un proxy, ne soit entreprise contre le gouvernement ciblé. L’agression multidimensionnelle des États-Unis recourt également à des opérations psychologiques et à de la propagande dans sa politique de guerre hybride. Des cas récents de changements de régime soutenus par les États-Unis ont été tentés en Syrie et au Venezuela, et ont été menés à bien en Libye et en Côte d’Ivoire, entre autres. Pourquoi devrions-nous soudainement penser que cette politique impérialiste américaine n’a pas également été appliquée au Rwanda et ensuite au Zaïre, malgré toutes les preuves dont nous disposons aujourd’hui ?

 

Les États-Unis et le Royaume-Uni ont fourni à la guerre de Museveni une couverture diplomatique internationale, comme le montre le livre de Collins.

 

Même une apologiste extrémiste de Kagame comme Linda Melvern écrit dans un article de 2007 intitulé The UK Government and the 1994 Genocide in Rwanda (Le gouvernement britannique et le génocide de 1994 au Rwanda) que l’histoire de cette tragédie n’a pas encore été entièrement écrite. L’une des raisons qu’elle donne, qu’Onana cite dans Rwanda, La vérité sur Operation Turquoise [ix], est pour le moins étrange : « Il y a des tentatives continues pour occulter la responsabilité individuelle dans le processus de prise de décision. On prétend même que, dans les archives du Foreign and Commonwealth Office (FCO) à Whitehall, les traces écrites sur le Rwanda de 1990 à 1994 ont été éliminées. Il y a une résistance à la publication des câbles diplomatiques échangés entre les décideurs politiques à Londres et la mission britannique à l’ONU à New York. » (…) « Cette histoire est massivement incomplète, comme l’auteur est la première à l’admettre. Nous ne devrions jamais oublier les lacunes. » On peut cependant se demander aujourd’hui s’il s’agit simplement de « lacunes » ou de faits clés qu’il faudrait reconnaître pour expliquer l’histoire récente du pays.

 

Accuser l'armée française d'être complice du génocide, alors que des années de procédures judiciaires en France contre les militaires de l'opération Turquoise ont abouti à un non-lieu, était une opération psychologique du FPR pour détourner l'attention d'autres opérations militaires en cours en dehors de l'opération Turquoise mandatée par l'ONU : l'opération américaine Support Hope, l'opération britannique Gabriel et l'opération israélienne Interns for Hope. Le fait que ces opérations ne soient pas connues aujourd'hui révèle la force de la propagande américaine, britannique, ougandaise et rwandaise et montre à quel point nous en savons peu aujourd'hui sur la tragédie rwandaise.

 

 Notes:


[i] cit. in Patrick Mbeko, Rwanda, Malheur aux vaincus, éditions Duboiris, 2024

104-05


[ii] cit in Patrick Mbeko p. 104-105   

 

[iii] cit in Patrick Mbeko, p109-110


[iv] cit in Patick Mbeko, p 106


[v] Ann Garrison, How Paul Kagame deliberately sacrificed the Tutsis, Black Agenda Report, 20 March 2024.


[vi]  Barrie Collins, Rwanda 1994: The Myth of the Akazu Genocide Conspiracy and its Consequences (Rethinking Political Violence), Palgrave Macmillan. p 58


[vii]  Charles Onana, Rwanda, La vérité sur l’Operation Turquoise, l’Artilleur, 2019 p 457 footnote 2


[viii] Barrie Collins, op. cit. p 60-61


[ix] Charles Onana, Rwanda, La vérité sur l’Operation Turquoise, l’Artilleur, 2019. p 518-519



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