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Writer's pictureNicoletta Fagiolo

L'ambassadeur Johan Swinnen sur le danger de l'orthodoxie intellectuelle et la banalisation du négationnisme


Portrait de Johan Swinnen



Johan Swinnen, ambassadeur de Belgique au Rwanda de 1990 à 1994 a témoigné devant le tribunal le 8 octobre 2024 en faveur des écrits de Charles Onana. Swinnen a expliqué devant le tribunal qu’il est arrivé au Rwanda six semaines avant la première agression du Front patriotique rwandais (FPR) en provenance de l’Ouganda et qu’il est reparti le 12 avril 1994.


Swinnen a déclaré avoir écrit en 2016 un livre de 600 pages « Rwanda mijn verhaal » (Rwanda, mon expérience), sur son service diplomatique dans le pays.


Il a souligné qu'il était à l'époque un fervent partisan du processus de paix d'Arusha.


Swinnen a critiqué le discours actuel, simpliste et unilatéral, sur le génocide rwandais qui, selon lui, se reflète également dans la loi belge actuelle concernant le négationnisme du génocide.


Il a affirmé son refus catégorique d'enfermer l'histoire du génocide dans une pensée unique, une orthodoxie intellectuelle, un récit fabriqué qui ne tolère aucune recherche honnête, aucune nuance, aucune question, surtout aucune critique de ceux qui attestent que les membres du FPR n’étaient pas ceux qui recherchaient une solution pacifique et un accord de partage du pouvoir, mais voulaient tout le pouvoir pour eux-mêmes, même au détriment des Tutsis vivant au Rwanda.


Selon ses propres termes : « La moindre nuance qui va à l'encontre des idées reçues, de la pensée unique, est aujourd'hui considérée comme une négation du génocide. »


Swinenn a ensuite rappelé une récente déclaration du secrétaire d'État des USA Antony Blinken qui parlait clairement de la souffrance collective vécue par tous les Rwandais, les Tutsis, les Hutus et les Twa. Il a souligné que les négationnistes se retrouvent également parmi ceux qui refusent d'aborder l'intégralité de l'histoire et parmi ceux qui poursuivent ou persécutent des personnes motivées par un souci de vérité, de justice et de développement durable.


Swinenn a demandé : « pourquoi le Front patriotique rwandais (FPR) a-t-il pris les armes en 1990 ? et pourquoi a-t-il violé le cessez-le-feu en mars 1993 et ​​par exemple encerclé Byumba (une ville du nord du Rwanda A/N). Quel message le FPR faisait-il passer à travers de telles actions ? Par ailleurs, un million de Rwandais ont été déplacés à cause de l’attaque du FPR en 1990, donc un Rwandais sur sept vivait dans des conditions déplorables et inhumaines, déplacé dans son propre pays.


L'un des plaignants, l'avocat Patrick Baudouin de la Fédération Internationale des Droits de l'Homme (FIDH), a mentionné son propre rapport de 1993 de la FIDH et Human Rights Watch, qui avait alerté à l’époque sur la possibilité d'un génocide au Rwanda, en demandant à Swinenn de commenter ce rapport.


L'Ambassadeur Swinenn a souligné que ce rapport spécifique de la FIDH/HRW n'entrait pas dans le détail des massacres bien connus du FPR, et as omis de parler des un million de personnes déplacées à cause des attaques du FPR. Il a appelé à une approche plus holistique face au génocide. L'ancien ambassadeur souligne, entre autres, que le FPR disposait également de la radio Muhabura qui diffusait des messages de haine, tout comme la Radiotélévision Libre des Mille Collines (RTLM).


L'ambassadeur Swinenn a également souligné que de nombreux Tutsis vivant au Rwanda à l'époque lui avaient dit craindre le Front Patriotique Rwandais. Une déclaration aussi dommageable pour le FPR, qui devrait justifier la réouverture de tous les procès du tribunal d'Arusha, a été ignorée par les plaignants.


Faisant référence au livre de Charles Onana sur l’Opération Turquoise, qui est au centre de ce procès, Johan Swinnen a ajouté : « Rien dans les paragraphes choisis ne justifie une accusation de négation du génocide. »


Il a également souligné qu'il y avait une vision caricaturale au Rwanda à l'époque de la division entre les Français favorables à Habyarimana et les Belges favorables au FPR. Malgré cette vision simpliste selon laquelle la Belgique était pro-FPR, le gouvernement intérimaire rwandais lui a offert une protection sécuritaire, la MINUAR, au lendemain de l'assassinat du président Habyarimana le 6 avril, ce qu'il a refusé, estimant qu'il y avait d'autres besoins de protection plus urgents dans le pays.


Swinenn a également déclaré que le gouvernement Habyarimana avait fait trop de concessions au FPR : le FPR s'est vu attribuer des postes importants au sein du gouvernement, ainsi qu'au sein de l'armée où les postes de commandant étaient partagés, donnant 50 % au FPR et 50 % au gouvernement Habyarimana. L'ensemble des postes de l'armée été répartis : 40 % allant au FPR et 60 % au gouvernement Habyarimana. Avec des positions aussi avantageuses accordées au FPR pendant le processus de paix, Swinnen se demande si le mouvement voulait réellement la paix, ou s'il voulait tout le pouvoir pour lui-même.


L'ancien ambassadeur souligne l'importance de rechercher la vérité, car de nombreuses questions restent encore à résoudre.


Swinenn a expliqué qu’il existe deux types de banalisation: à côté de la banalisation du génocide, il y a aussi la banalisation de l’accusation de contestation du génocide. A ceux qui s'émeuvent ou s'indignent face à ceux qui plaident pour plus de vérité et de nuances, Johan Swinnen demande de ne pas cibler la mauvaise cible mais de s'adresser aux vrais négationnistes. « En effet, je constate que la moindre question, la moindre nuance ou observation à l'encontre de ce que j'appelle le simplisme ou l'orthodoxie intellectuelle donne lieu à de graves récriminations. "


Dans une préface écrite pour le livre de l’expert géopolitique congolais Patrick Mbeko Rwanda, Malheur aux Vaincu 1994-2024, Swinnen demande avec le recul : « La Belgique a-t-elle été trop dure avec Habyarimana et trop accommodante avec Kagame ? (page 24)


"Les accusations de négationnisme et de divisionnisme trahissent une incapacité de dialogue lorsqu'elles s'intéressent moins à la vérité, à la justice et à la réconciliation qu'à l'imposition d'un catéchisme de repentance à une partie significative de la population locale et à la communauté internationale", ajoute Swinnen. (page 27)


Il rappelle un article pour Le Soir de 2021 qu'il avait écrit avec trois autres experts de la région africaine des Grands Lacs, Filip Reyntjens, René Lemarchand et Luc Henkinbrant, La traversée de Patrick de Saint-Exupéry, une autre forme de  négationnisme ?, alors qu'ils étaient consternés par le déni catégorique des crimes du FPR au Congo par l'expert rwandais Patrick de Saint-Exupéry: « Cela fait presque 25 ans que Patrick de Saint-Exupéry et d'autres auteurs répètent la tristement célèbre accusation de négationnisme contre ceux qui, tout en reconnaissant sans réserve le crime de génocide contre les Tutsis , ont l'audace de mettre en lumière les crimes de masse commis au Rwanda puis en République démocratique du Congo par l'armée du Front Patriotique Rwandais.» (page 29)


On ne peut que remarquer, connaissant les décennies de dénonciation incessante de Charles Onana de l'Holocauste en cours dans l'est du Congo depuis 1996 et qui a vu plus de 10 millions de civils tués et plus de 7 millions de déplacés internes, si ce procès français ne fait pas partie du même approche insensée et déplacée: une autre forme de négationnisme.


 

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