Dans ce qui ressemble de plus en plus à une « criminalisation de la justice internationale », la Cour pénale internationale (CPI) tient actuellement un procès contre deux dirigeants panafricanistes non violents et démocratiques originaires d’un pays d’Afrique de l’Ouest, la Côte d’Ivoire : l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo et le Ministre de la jeunesse Charles Blé Goudé. C’est un procès qui, même dans sa phase préliminaire naissante, était considéré comme manquant tellement de preuves incriminantes que l’ancien président mozambicain Joaquim Chissano avait déclaré qu’il n’aurait jamais dû avoir lieu.
C’est aussi un procès qui a attiré l’attention sur la validité des témoignages sollicités par la cour et notamment ceux d’organisations de défense des droits de l’homme qui sont saluées comme des phares de la justice. Il s’agit, en l’occurrence, de Human Rights Watch (HRW).
Chissano s’est exprimé vigoureusement au nom du Forum Afrique en 2015 et a appelé le Procureur de la CPI, Fatou Bensouda, à libérer Gbagbo immédiatement. Cette libération permettrait de trouver un règlement pacifique en Côte d’Ivoire.
L’une des infractions pénales commises par Gbagbo sur la liste de la cour stipulait qu’il représentait la force motrice du conflit dans le pays et qu’il était l’auteur de « crimes contre l’humanité ».
En effet, Gbagbo s’est ouvertement engagé dans un conflit – qui a fait des victimes parmi les populations civiles. Pourtant, son combat était contre des forces rebelles bien structurées, les Forces Nouvelles, qui étaient derrière les tentatives de déstabilisation de la Côte d’Ivoire. Dès 1999, un coup d’État avait été organisé contre le président Henri Konan Bédié. Puis il y a eu une série de coups d’État avortés de Septembre 2000 à janvier 2001, jusqu’à ce que le coup d’État définitif de 2002 divise le pays en deux. Le gouvernement Gbagbo élu en 2000 n’a duré que deux ans. Toutefois, il a été contraint de composer avec l’occupation rebelle pendant les huit années suivantes. Aujourd’hui, plusieurs de ces anciens rebelles qui avaient bel et bien perpétré des actes de violence et des agressions ont été promus sous le régime Ouattara à d’importants postes de sécurité.
Les élections qui étaient initialement prévues pour 2005 ont été repoussées à plusieurs reprises à cause du refus des rebelles de se désarmer, malgré le fait qu’il s’agissait d’une exigence majeure spécifiée dans les huit accords de paix couvrant près d’une décennie.
Au cours des élections de Novembre 2010, de graves violations des droits de l’homme ont été documentées par la coalition Gbagbo. Plusieurs de ces atteintes aux droits des citoyens ont été commises par le groupe rebelle Forces Nouvelles, dirigé par le candidat de l’opposition Ouattara. Des observateurs soutenus par le président sortant, Gbagbo, ont travaillé à documenter la violence dans le nord et l’ouest du pays qui étaient tombés aux mains des rebelles depuis 2002. Le Conseil constitutionnel a été saisi de cinq plaintes. La coalition Ouattara, par contre, n’a déposé aucune plainte pour violation.
Le Conseil constitutionnel ivoirien, à l’issue d’une procédure en bonne et due forme, a proclamé Gbagbo vainqueur le 3 Décembre 2010. Le camp de Ouattara, revendiquant la victoire et soutenu par les États-Unis et la France qui ont fait pression sur le Conseil de sécurité de l’ONU, a pris les armes et lancé des attaques dans tout le pays, ciblant les forces de sécurité et les sympathisants civils de Gbagbo dès le 16 décembre 2010.
Dans l’affaire Gbagbo et Blé Goudé, les crimes sur lesquels portent les accusations auraient été commis au cours des cinq mois qui ont suivi les élections contestées du pays en novembre 2010. Le ministère public a retenu contre Gbagbo et Blé Goudé quatre chefs d’accusation pour crimes contre l’humanité, y compris d’avoir ordonné des meurtres et des viols. Ces accusations sont passibles d’emprisonnement à vie. Gbagbo et Blé Goudé ont plaidé non coupables aux accusations d’orchestration de « violence indescriptible ».
Au cours d’une audience de trois jours, du 17 au 19 mai 2016, Matthew Wells, ancien chercheur de HRW, a été appelé à témoigner. En tant que représentant de l’une des organisations de défense des droits de l’homme les plus importantes et les plus influentes, il a été invité à comparaître comme 8e témoin dans ce procès de haut niveau qui a débuté le 28 janvier 2016 à La Haye.
La défense de Gbagbo a présenté une motion faisant valoir que Wells n’était pas qualifié pour être entendu comme « expert » – motion que le juge a acceptée. La raison était que le séjour de Wells en Côte d’Ivoire était trop limité (cinq missions brèves sur le terrain) et qu’il n’a été témoin direct d’aucune des accusations spécifiques qui sont examinées. Wells n’a donc été autorisé à témoigner devant le tribunal que sur deux aspects : ce qu’il a pu observer directement lors de ses missions, et la méthodologie qu’il a utilisée pour rédiger son rapport. 2)
Le témoignage du superviseur de Wells, Corinne Dufka, chercheuse de HRW sur l’Afrique de l’Ouest, avait été auparavant rejeté par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) pour manque d’impartialité et pour être loin d’être objectif – un fait que Jean-Serge Gbougnon a souligné le 19 mai 2016, en s’exprimant au nom de la défense de Blé Goudé. Dufka a accompagné Wells dans la plupart de ses missions en Côte d’Ivoire.
Répondant aux questions de la représentante du Bureau du Procureur, Melissa Pack, Wells a souligné les valeurs qu’il considère comme faisant partie intégrante du travail de HRW : l’objectivité et l’impartialité. Étudiant en droit à Harvard, spécialisé en histoire et en psychologie, Wells a travaillé pour HRW de 2009 à 2014. Il a expliqué ses missions en Côte d’Ivoire. Pourtant, lors du contre-interrogatoire de Wells mené par la défense (19 et 20 mai 2016), ces deux qualités semblent manquer.
L’avocat principal de la défense Emmanuel Altit a ouvert l’interrogatoire le 18 mai en demandant à Wells pourquoi il avait refusé une réunion avec lui et son cabinet, qui en avait fait la demande dès 2011. Pourtant, Wells a eu 12 réunions en l’espace d’un mois avec le procureur de la CPI en septembre 2013, ainsi qu’avec deux avocats français représentant l’actuel président ivoirien Alassane Ouattara, a déclaré M. Altit à l’audience. 3)
« J’avais reçu comme instructions de remettre tous les courriels concernant les questions juridiques au directeur de HRW en France, ainsi qu’à leur département juridique, qui ferait le suivi ». En France ? Pourquoi envoyer des questions concernant un pays d’Afrique de l’Ouest au bureau de HRW en France, son ancien colonisateur, un pays qui, sur les plans militaire et diplomatique, n’a ménagé aucun effort depuis 2002 pour évincer Gbagbo par tous les moyens possibles ? Un pays qui a joué un rôle majeur dans le conflit depuis 2002 et qui a très vraisemblablement contribué à l’attiser.
La défense avait recueilli des témoignages documentés de graves violations des droits de l’homme dans le nord de la Côte d’Ivoire, sous le contrôle des rebelles, et avait demandé par courriel à communiquer ces informations à Wells. La réunion n’a jamais eu lieu parce que Wells n’a jamais répondu. Wells a réitéré à l’audience, imperturbable devant l’absurdité de la demande de sa propre organisation : « toutes les questions juridiques devaient être envoyées au directeur de HRW en France pour suivi ». Certains règlements internes de HRW semblent, à tout le moins, reposer sur une impartialité structurelle.
L’avocat principal de la défense de Gbagbo, Altit, a constamment remis en question la méthodologie de HRW devant la cour. Il a indiqué que le 3 juin 2013, une majorité de juges d’une chambre préliminaire de la CPI avait décidé qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour traduire Gbagbo en justice pour crimes contre l’humanité. La raison principale invoquée par les juges était le recours excessif aux preuves par ouï-dire telles que les rapports d’ONG.
L’argument de la défense selon lequel la méthodologie de HRW comporte des failles, dans la mesure où elle est biaisée et fondée principalement sur des preuves par ouï-dire, a également été un des principaux points discutés à l’audience, avec de nombreux exemples qui ont été cités. La preuve par ouï-dire, bien qu’acceptée à la CPI comme élément probant, a peu de valeur probante au procès.
Justice Monitor soutient qu’elle fournit des « rapports d’observation équilibrés et accessibles sur des procès importants ». Pourtant, le rapports de Justice Monitor sur le procès Gbagbo prête à confusion et semble souvent inclure des comptes-rendus erronés.
Un commentaire publié sur Justice Monitor dit ceci : « Altit a envoyé le plus de coups tandis que le chercheur américain les a évités un à un ». En dépit de cela, le sentiment général après une journée de témoignages de Wells était plutôt un manque de professionnalisme de la part de HRW dont l’exposé de la crise ressemblait à un récit impartial qui ne reflète ni la réalité sur le terrain, ni l’éventail de ressources disponibles pour la recherche.
La première faille méthodologique de HRW qui a été soulignée par Altit concernait une résolution de l’ONU.
Le rapport de HRW intitulé « Côte d’Ivoire : Ils les ont tués comme si de rien n’était. Le besoin de justice pour les crimes postélectoraux en Côte d’Ivoire », rédigé par Wells en 2011, indique à la page 24 :
« Le 3 décembre 2010, conformément aux procédures fixées par la résolution 1765 du Conseil de sécurité des Nations Unies et les accords politiques signés par les protagonistes du conflit, le représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la Côte d’Ivoire, Choi Young-Jin, confirme les résultats de la commission électorale donnant vainqueur Alassane Ouattara ».
Altit a souligné que le rapport de HRW comportait une erreur factuelle puisque la résolution de l’ONU ne conférait pas à Choi Young-Jin le mandat de certifier les élections. Altit a alors fait lire à Wells la résolution 1765 de l’ONU et plus particulièrement, l’article concernant le mandat de Choi.
Le juge Cuno Tarfusser, pour détendre l’atmosphère, a fait une blague en disant que le témoin avait réussi son examen de français, ce à quoi Altit a répondu que oui, il avait sûrement obtenu une note moyenne, mais que le but de l’exercice était plutôt de révéler la démarche non scientifique de HRW dans la compilation de ses rapports.
« Vous auriez pu écrire autre chose, pourquoi avoir choisi d’écrire ceci ? », a demandé Altit à Wells, « pourquoi écrire quelque chose qui ne correspond pas à la loi appliquée ? ».
D’ailleurs, si nous nous tournons vers Justice Monitor et lisons son rapport sur l’audience de ce jour-là, nous trouvons ceci :
« Ensuite, l’avocat, dans une critique directe à l’égard du témoin, a remis en doute l’ensemble des rapports de HRW sur la Côte d’Ivoire. Il a commencé par sa connaissance du français, puis sa capacité à comprendre la Côte d’Ivoire ». 4)
Sans commentaire. Mais évidemment, personne ne surveille Justice Monitor et, par conséquent, toute personne qui cherche des informations équilibrées et neutres ne peut avoir qu’une compréhension très limitée du procès.
Wells a expliqué : « Nous l’avons dit parce que ce que nous avons compris, moi et beaucoup d’autres, c’est ce que le Secrétaire général de l’ONU a fait, c’est pourquoi nous l’avons approuvé. Nous ne prenons pas position, nous avons simplement écrit ce qu’a dit le représentant du Secrétaire général de l’ONU, Choi ». Rapporter uniquement ce qu’a fait l’ONU et omettre tout le reste, dans ce que certains ont appelé un coup d’État franco-onusien contre un gouvernement légitimement élu, et d’autres une politique de changement de régime contre le gouvernement Gbagbo, ce n’est pas prendre position selon Wells ?
Le rapport de HRW sur la crise postélectorale de 2011 est truffé d’erreurs factuelles et omet des faits élémentaires tels que les divisions et l’absence de consensus au sein de la CEDEAO, des Nations Unies mais aussi de l’Union africaine quant à la victoire de Ouattara à ces élections.
Ouattara a été déclaré vainqueur des élections nationales du 2 décembre 2010 par Youssouf Bakayoko, le président de la Commission électorale indépendante (CEI). Or, selon la Constitution ivoirienne, cette commission est autorisée à déclarer uniquement les résultats provisoires.
Remettant en question la méthodologie de HRW, Altit a demandé à Wells s’il connaissait les dispositions légales régissant le code électoral de la Côte d’Ivoire et le rôle de la Commission électorale indépendante, ce à quoi Wells a répondu : « je me concentre sur le droit humanitaire et non la loi électorale ». Une déclaration sérieuse venant de quelqu’un qui aurait dû à tout le moins être conscient du fait que la coalition Gbagbo, connue sous le nom de La majorité présidentielle (LMP), a saisi le Conseil constitutionnel de cinq plaintes officielles documentant des violations des droits de l’homme, et demandant l’annulation des votes dans ces départements. Les mêmes violations signalées par de nombreuses ONG ont été omises dans le rapport de HRW sur la crise postélectorale. La coalition de Ouattara, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP) n’a pas présenté de recours pour irrégularités de procédure au second tour.
Altit a déclaré que le rapport produit par Wells n’a pas donné aux lecteurs tous les éléments : « La victoire de Ouattara, vous la présentez comme un fait, vous écrivez des rapports et ces rapports ont des conséquences (…) Vous contribuez à dire qui a raison et qui a tort ».
En déclarant que Gbagbo n’a essayé en aucun cas de prévenir les violations des droits de l’homme, HRW fait complètement fi d’un rapport de 115 pages intitulé rapport Kadjo Djidji. L’enquête postélectorale publiée a été mise en place par Gbagbo par décret présidentiel en janvier 2011, un fait mentionné dans les rapports de l’ONU. La même enquête approfondie a également été ignorée au départ par le procureur de la CPI dans le premier document de notification des charges. Le deuxième document de notification des charges du procureur, modifié, l’a appelée à tort un rapport d’une page. Ce faisant, le procureur a en fait violé les règles de la CPI qui exigent que tous les éléments de preuve, qu’ils soient à charge ou à décharge, soient présentés à la défense, ainsi qu’aux juges.
HRW a reçu la plus grande somme jamais offerte par le financier George Soros à une seule organisation de défense des droits de l’homme – une dotation de 100 millions de dollars. 5) Curieusement, Justice Monitor est également financée par Soros par le biais de l’Open Society Foundation. Ce lien financier pourrait constituer un conflit d’intérêt.
HRW a également été critiquée pour son ingérence politique supposée dans ses orientations politiques. Dans une lettre ouverte adressée à HRW en 2014, plus d’une centaine de chercheurs ont critiqué ce qu’ils ont présenté comme les liens étroits du groupe avec le gouvernement américain. Ils estiment que ces liens créent une « structure incitative perverse », principalement en raison du processus des portes tournantes qui voit des fonctionnaires du gouvernement passer au secteur non lucratif et vice-versa.
Altit a également dénoncé l’impartialité de HRW qui applique deux poids et deux mesures en décrivant une situation ou en établissant le contexte des événements.
Le témoignage de HRW ainsi que le rapport de l’organisation ont des relents d’un récit partial qui donne l’impression d’un consensus général autour de la victoire de Ouattara. De plus, il présente Gbagbo de manière préemptive comme le malfaiteur. Quand HRW fait un rapport sur le Conseil constitutionnel et ses délibérations, elle écrit que le Président du Conseil constitutionnel est « un ami proche des Gbagbo ». Pourtant, lorsqu’elle déclare que la Commission électorale indépendante (CEI) a annoncé les résultats des élections, elle ne précise pas que Bakayoko, le président de la CEI, venait du parti de Ouattara et n’avait pas respecté les normes juridiques régissant les élections ivoiriennes. Wells a répondu qu’il ne connaissait pas l’affiliation politique de Bakayoko.
Altit a fait remarquer que dans la partie du rapport intitulée « Forces pro-Gbagbo, Incitation à la violence par le camp Gbagbo », le seul exemple concret d’une telle incitation est une déclaration faite par le porte-parole de Gbagbo, Ahoua Don Mello, à la télévision nationale RTI le 18 mars, le lendemain de l’attaque au mortier sur un marché d’Abobo qui aurait été perpétrée par les forces de Gbagbo et qui a coûté la vie à près de 25 civils. Or, indique Altit, Wells a nié dans le document présenté à la CPI que Don Mello ait un jour fait une déclaration incitant à la haine. Par conséquent, il y a déjà une contradiction entre les conclusions du rapport et la déposition de Wells comme témoignage devant la Cour. À noter que le rapport de HRW impute les bombardements du 17 mars au gouvernement Gbagbo, sans fournir une expertise médicale ou balistique dans le rapport ou à la Cour.
Une autre preuve peu convaincante dans le rapport de HRW figure à la page 43 citant l’organe de presse Associated Press (AP). L’Associated Press a rapporté que lors d’une émission de la RTI à cette époque, « le présentateur souriait alors qu’il relatait un incident au cours duquel une douzaine de rebelles supposés avaient été tués par des soldats pro-Gbagbo dans le centre d’Abidjan, disant d’eux qu’ils s’étaient fait « abattre comme de faibles oiseaux ». Des images des corps ensanglantés ont été diffusées parallèlement à des images de soldats se tapant dans la main et d’une foule les acclamant ».
La vidéo n’est cependant pas disponible et, pire, quand on lit l’article d’AP rédigé par Marco Chown Oved et cité ensuite par HRW, il n’y a en réalité que deux citations de HRW dans cet article. Par principe, HRW affirme qu’ils adhèrent à la diversité des sources.
Altit continuait de remettre en cause l’approche du deux poids deux mesures adoptée par HRW dans l’analyse de la situation et, en particulier, la différence dans la manière dont le camp Gbagbo et le camp Ouattara sont présentés : « Vous dites dans votre rapport qu’il [Gbagbo] devrait être condamné pour crimes simplement parce qu’il était le Chef de l’Armée et qu’il n’aurait pas pris les mesures nécessaires (…) dans l’autre camp, vous ne mentionnez ni Alassane Ouattara ni Guillaume Soro (…) Pourquoi vous n’appliquez pas le même standard [aux deux camps] ? ».
Dans la partie du rapport de HRW qui explique le contexte électoral, Wells s’en remet largement à une seule source – celle d’un article de la BBC. Interrogé sur le recours limité aux sources, Wells n’avait rien à ajouter.
Les dépositions de témoins ne sont pas recueillies de façon méthodique ; aucun enregistrement des interviews n’est effectué ou, dans certains cas, les papiers d’identité ne sont pas vérifiés. Il apparaît donc qu’il n’y a aucune procédure de vérification systématique et que les rapports de HRW sont rédigés sur la base d’articles parus dans les médias et de notes prises par le personnel de HRW au cours des entretiens avec des témoins. À cause de supposés problèmes de sécurité, les identités sont cachées et donc personne ne peut vérifier si ce que HRW a écrit est correct. La défense n’a aucun moyen de contester les informations présentées, et donc de telles preuves constituent également une violation du droit à un procès équitable.
Souvent, des intermédiaires qui étaient payés 50 dollars par jour, étaient utilisés pour identifier des témoins. Ces mêmes "fixeurs" et intermédiaires servaient aussi de traducteurs à l’occasion. Compte tenu des questions graves qui sont examinées, un traducteur professionnel devrait être une exigence pour toute recherche organisée de façon méthodique.
Altit a présenté au procès des séquences vidéo facilement accessibles sur Internet du chef rebelle Guillaume Soro appelant les rebelles des Forces Nouvelles lourdement armés à s’emparer de la télévision nationale, la RTI. HRW a omis ce détail compromettant qui constitue une preuve évidente que la manifestation n’était pas pacifique, mais rassemblait au contraire des rebelles armés. L’un des quatre principaux chefs d’accusation contre Gbagbo et Blé Goudé est que la manifestation a été lourdement réprimée. Wells qui n’était pas dans le pays à cette période a répondu : « nous nous sommes intéressés à ce qui s’était passé le jour de la manifestation et pas à ce qui s’était passé avant ». Ce même 16 décembre 2010, les Forces Nouvelles ont non seulement attaqué la ville d’Abidjan, mais ont lancé une série d’actions dans tout le pays, une autre série d’évènements encore une fois non inclus dans les considérations de HRW.
L’ancien ministre de la Jeunesse de Gbagbo, Blé Goudé, est actuellement jugé en même temps que lui à la CPI. Du temps de l’administration Gbagbo, il était le leader de ceux que l’on appelait les Jeunes Patriotes, surnommé le ‘Général’ pour sa capacité à mobiliser un grand nombre de personnes dans les rues en un clin d’œil, soulevant les foules pour de grandes manifestations non-violentes, des marches de protestations, des sit-in et des grèves de la faim. Ses méthodes étaient un exemple extraordinaire de résistance non-violente encore aujourd’hui respecté.
Quand Jean-Serges Gbougnon, avocat de la défense de Blé Goudé, a demandé à Matt Wells s’il avait cherché à rencontrer Blé Goudé au cours de ses missions, il a répondu : « Non, je n’ai pas cherché à le faire ». À la question de savoir si cela aurait été possible, Wells a répondu : « Je ne sais pas ».
Quand on lui a demandé d’expliquer pourquoi il présente les Jeunes Patriotes comme une « milice », en se fondant sur ce qu’il avait vu, Wells a rappelé à l’audience : un groupe de jeunes courant et scandant des slogans pro-Gbagbo. Pour lui, cela (étayé par des déclarations de témoins) constitue une preuve suffisante pour dire qu’il y avait une « milice » dans un rapport de mission de Human Rights Watch et au procès devant une cour internationale. Wells ne pouvait même pas se rappeler ce que chantaient les joggers.
Gbougnon était manifestement surpris d’apprendre que HRW ne fait pas d’enregistrements audio ou de transcriptions de leurs témoignages, mais prend seulement des notes. La défense a posé la question de savoir comment on pouvait corriger un aspect si l’on pense que les notes prises par HRW ne reflètent pas l’entretien initial et donc la réalité sur le terrain.
Bien que Wells n’ait jamais participé à un « parlement » (tribune libre) et n’était donc pas un témoin direct, il a écrit dans son témoignage qu’il ne pouvait pas se rendre au « parlement » dans le quartier Avocatier d’Abobo, parce que les jeunes patriotes étaient violents.
« Vous n’y êtes pas allez, dites-vous, à cause de la violence, cette violence dont vous venez de dire que vous ne l’avez pas vue ? », a souligné Jean-Serges Gbougnon au procès. « J’avais recueilli les témoignages de personnes originaires d’Abobo et j’étais passé par cette zone, donc j’avais des témoignages et des dates auxquelles des personnes ont été tuées près du parlement », a répondu Wells. Gbougnon a demandé à Wells s’il comprenait la nuance ? Au vu de ses déclarations sur les preuves, il n’a jamais confirmé ses propos.
Au tribunal, Wells a témoigné devant le procureur que dans les quartiers de Yopougon et Mamie Faitai d’Abidjan, il avait vu des « monticules de terre de différentes tailles ». Dans le rapport de HRW, ces monticules sont devenus des « fosses communes », mais n’ont jamais été confirmés par des preuves médico-légales. « Pourquoi n’avez-vous pas écrit « monticules de terre », qui est ce que vous avez effectivement vu ?, a demandé Gbougnon.
Les Nations Unis ont écrit qu’il y avait des fosses communes attribuées à Gbagbo qu’on les a empêché de visiter, mais ont admis en mars 2011 que l’information publiée sur leur site web depuis décembre 2010 était erronée. Raison de plus pour produire des preuves médico-légales avant de faire des déclarations d’une si grande portée.
Le procureur a accusé Blé Goudé d’incitation à la haine ethnique et d’incitation à la violence. Cependant, la défense de Blé Goudé a montré trois extraits de vidéo de ce dernier appelant à une solution pacifique et une collaboration mutuelle entre toutes les communautés ivoiriennes : une séquence vidéo du 18 septembre 2010 montre Charles Blé Goudé appelant la communauté musulmane à ne pas se sentir marginalisée puisqu’ils sont des ivoiriens eux aussi.
À la question de savoir s’il avait vu cette vidéo, Wells a répondu qu’« il n’est pas sûr ». Alors que Ouattara appelle à mettre fin à un règlement pacifique, Blé Goudé appelle au dialogue dans une interview à la télévision française France 24 le 4 janvier 2011. Encore une fois, Wells ne se souvient pas d’avoir vu ces vidéos, mais déclare qu’il avait lu quelque chose à propos de cette interview.
La troisième vidéo présente Blé Goudé appelant à mettre fin à la violence dans les villes et les villages le 20 mars 2011. Là encore, Wells a une amnésie : « Je ne me souviens pas d’avoir vu cette vidéo ».
Dans toutes les vidéos diffusées, Blé Goudé plaide pour une solution pacifique. L’avocat de la défense demande pourquoi aucune de ces interviews ou aucun de ces discours n’a été repris par HRW dans son rapport ? Ou dans le témoignage de Wells devant la cour ?
Wells a déclaré qu’il a vu d’autres vidéos qui semblaient inciter à la haine. Il affirme également, sans aucune statistique disponible, qu’il a perçu une escalade de la violence après un discours tenu par Blé Goudé le 25 février 2011. Il n’était cependant pas dans le pays au moment des faits.
À ce jour, pas une seule vidéo incriminant Blé Goudé n’a été présentée à la cour. Aucune des sources disponibles n’est citée (France 24, RTI, etc.) pour les discours appelant à la paix. Ne pas en faire état du tout, c’est comme produire un rapport incomplet, à tout le moins.
Altit critique la stratégie du procureur qui semble dépendre fortement de HRW comme source au lieu de mener sa propre enquête rigoureuse. « On peut facilement dire que depuis le début de ce procès, le procureur n’a pas véritablement enquêté, mais a fondé son dossier sur les rapports des ONG, en particulier Human Rights Watch », a souligné Altit.
L’influence et le poids de HRW étaient également soulignés par Wells à la cour. Une question brûlante qui se pose en regardant cet interrogatoire à la Haye est comment devons-nous comprendre HRW si les cours de justice internationales rejettent ses rapports comme étant des ouï-dire, puisque cela signifie que la CPI a indirectement déclaré que beaucoup de décisions politiques sont fondées sur des ouï-dire.
D’aucuns parlent déjà de procès répondant à des motifs politiques : « Il n’y a rien de sérieux contre Gbagbo, c’est juste une pression politique venant de la France et je ne peux rien faire », aurait déclaré le Procureur en chef de la CPI Fatou Bensouda au candidat à la présidence de la République centrafricaine Pascal Bida Koyagbele. Selon la chroniqueuse sud-africaine spécialisée en affaires étrangères Shannon Ebrahim, dans son article intitulé « La main de la France dans la chute de Gbagbo » (French Hand in Gbagbo’s Fall), ces commentaires de Bensouda dataient seulement d’octobre 2015, juste trois mois avant l’ouverture du procès.
L’activiste Keane Bhatt a critiqué les tweets du Directeur de HRW Kenneth Roth, encourageant le bombardement de la Syrie en invoquant « le droit de protéger ». « Il y a de nombreux tweets, ce qui permet le déni plausible, mais dans leur effet et leur prépondérance, ils montrent un véritable encouragement de l’administration Obama au plus fort des appels à un bombardement américain de la Syrie », a déclaré Bhatt. « Et nous pensons qu’il est tout simplement inconvenant de la part du directeur d’une organisation de défense des droits de l’homme de demander plus – plus qu’un bombardement symbolique… … Je pense que c’est là quelque chose qui montre réellement la nécessité d’une séparation, d’un pare-feu, entre HRW et l’OTAN et le gouvernement américain ». 6)
Tout récemment, Roth critiquait le dernier ouvrage de Noam Chomsky « Who rules the world ? » dans le New York Review of Books en soutenant que Chomsky a évité de parler des régions où l’Amérique a peu d’influence. Roth cite ensuite deux guerres par procuration des États-Unis en Afrique : le Soudan et la République démocratique du Congo. La décontextualisation historique est-elle une lacune générale de HRW ?
Peut-être que HRW, autant que Justice Monitor, a besoin d’une bonne surveillance régulière par un groupe indépendant, compte tenu de ses analyses biaisées et souvent erronées. Le résultat d’une enquête indépendante sur HRW pourrait aboutir au rejet automatique de ses rapports comme preuves aux procès de la justice internationale, ce qui, à long terme, permettrait de faire des économies de deniers publics et d’éviter beaucoup d’inepties juridiques.
Nicoletta Fagiolo, nsnbc, 23.06.2016
Translated by: Mme Diallo Ka Maymouna
Notes :
1) Documents d’information sur Laurent Gbagbo et ce procès CPI aux liens suivants :
http://www.resetdoc.org/story/00000022641 http://www.resetdoc.org/story/00000022184 and http://www.resetdoc.org/story/00000022250
2) Eric Yerime Procès CPI du 12 Mai – L’avocat de Gbagbo, Maitre Altit sort le grand jeu. ivoirematin.com, 12 Mai 2016 au lien suivant :
3) Une retransmission en français du témoignage de Matthew Wells de HRW à la CPI peut être visualisée sur You Tube au lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=LVcFoR_UTtA
4) Antoine Panaité, Justice Monitor, 18 mai 2016 ici : http://www.ijmonitor.org/2016/05/according-to-gbagbos-defense-human-rights-watch-is-neither-impartial-nor-competent/
6) Débat : Human Rights Watch est-elle trop proche des États-Unis. La préoccupation découle du fait que ce que nous avons délimité dans la lettre conduit à une structure incitative perverse. Le Gouvernement doit-il critiquer sa politique étrangère ? Lien : http://www.democracynow.org/2014/6/11/debate_is_human_rights_watch_too