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  • Writer's pictureNicoletta Fagiolo

La Cour pénale internationale: Une justice des gros poissons ?

Updated: Dec 29, 2022





Article publié pour THE THINKER 2017 en Anglais à télécharger ici :

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La Cour pénale internationale: Une justice des gros poissons ?


La première juridiction pénale internationale permanente au monde (la CPI), qui a vu le jour le 1er juillet 2002, a reçu un véritable camouflet le 1er février 2017 lorsque l’Union africaine (UA) a approuvé un plan de retrait collectif. La décision (bien que non juridiquement contraignante) a été prise à huis clos alors que le sommet de l’UA dans la capitale éthiopienne Addis-Abeba touchait à sa fin. Des 34 pays africains signataires du traité de la CPI, la majorité était en faveur du retrait.


Depuis sa création, la CPI a reçu un fervent soutien, mais aussi des critiques acerbes, de plus en plus nombreuses. Si le retrait récent de l’Afrique du Sud à la fin de l’année dernière a été un coup dur et un défi sans précédent à la légitimité même de la Cour, la décision du sommet a souligné la nécessité de scruter les mécanismes, voire l’existence, de cette cour.


Cette année marque le 15e anniversaire de la CPI. Sa mission intrinsèque est de traduire en justice les principaux responsables, dans le cadre d’un événement ou de plusieurs événements – généralement une situation découlant d’un pays en guerre – des pires crimes internationaux : crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide.


Lors de la conférence de révision qui s’est tenue à Kampala en juin 2010, les États membres qui avaient ratifié le Statut de Rome, le traité de 1998 établissant la CPI, ont décidé par consensus de l’amender pour lui permettre d’exercer sa compétence à l’égard du crime d’agression. Ce terme renvoie au recours par un État à la force armée contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État.


Toutefois, on ignore encore la date à laquelle les amendements relatifs à l’agression deviendront opérationnels, et la Cour ne pourra exercer sa compétence à l’égard d’agressions commises qu’un an après que 30 États parties auront accepté les amendements. Les amendements relatifs à l’agression comportent également une clause de déclaration déclinatoire (« opt-out ») qui prête à confusion. « Pourquoi un État ratifierait-il l’amendement seulement pour ne pas se soumettre à sa compétence ? », s’interroge Dapo Akande (1), professeur de droit international public à l’université d’Oxford et codirecteur de l’Oxford Institute for Ethics.


La partialité perçue de la Cour pénale internationale, qui a concentré ses travaux sur l’Afrique, mérite d’être examinée. À ce jour, sur les dix enquêtes officielles de la CPI, une seule n’est pas axée sur le continent africain.


En novembre 2016, la Russie, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU), a pris la décision de retirer sa signature du traité fondateur de la CPI, qu’elle avait signé, mais jamais ratifié. Désormais, au sein de la structure des cinq membres permanents du CSNU, seules la France et l’Angleterre font partie de la CPI, tandis que la Chine, les États-Unis et maintenant la Russie ne sont pas signataires.


Cette configuration est étrange, si l’on considère que ces mêmes cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU peuvent, conformément au traité fondateur de la CPI, décider de renvoyer une affaire à la CPI, tout comme de la bloquer, même en ce qui concerne les pays qui ne sont pas parties au traité de Rome. Ce lien institutionnel, structurel et opérationnel de la CPI avec le CSNU a été un point de discorde majeur depuis sa création et c’est la raison pour laquelle des pays comme l’Inde, ont décidé de s’en retirer.


La partialité perçue de la Cour pénale internationale, qui a concentré ses travaux sur l’Afrique, mérite d’être examinée. À ce jour, sur les dix enquêtes officielles de la CPI, une seule n’est pas axée sur le continent africain. Trente-deux ressortissants africains de neuf pays africains ont été mis en accusation. Mais ces points sont-ils suffisants pour comprendre les enjeux ?


Curieusement, avec tout ce qui a été dit sur la justice pénale internationale, on a peu parlé de ceux qui sont exactement jugés, et surtout, pour quelles guerres. Un moyen d’évaluer la justice pénale internationale consiste à examiner la jurisprudence qu’elle développe et la codification juridique qu’elle établit.


La caractérisation de la guerre


Les trois premiers procès tenus à la CPI ont concerné des crimes commis en Ituri, dans l’est de la République démocratique du Congo, en 2002 et 2003. Trois personnes ont été mises en accusation : Thomas Lubanga, Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo. Une quatrième personne, Bosco Ntaganda, né au Rwanda, inculpé en 2006 puis en 2012, a été transféré à la CPI en 2013 après s’être rendu volontairement à l’Ambassade américaine de Kigali, au Rwanda, en mars de la même année. Contrairement aux trois premiers inculpés, Ntaganda est un rebelle pur et dur et de longue date. Nous reviendrons sur Ntaganda plus loin.


Les procès de Germain Katanga et de Mathieu Ngudjolo ont été combinés car les deux actes d’accusation couvraient un seul et même événement qui s’est produit le 24 février 2003 à Bogoro, en Ituri. Tous deux auraient dirigé des groupes de défense locaux composés essentiellement de combattants appartenant au groupe ethnique lendu, respectivement la Force de résistance patriotique en Ituri (FRPI) et le Front des nationalistes et intégrationnistes (FNI). L’événement aurait visé l’Union des patriotes congolais (UPC), une milice largement composée de combattants appartenant au groupe ethnique Hema qui était dirigée par Thomas Lubanga, ainsi que la population civile principalement à base ethnique Hema vivant dans le village.


En décembre 2012, la Chambre de première instance II de la CPI a acquitté Ngudjolo de tous les chefs d’accusation. Ngudjolo a prouvé sans équivoque à la Cour qu’à cette période il assistait à un accouchement au dispensaire de Kambutso où il travaillait comme infirmier, et qu’il ne pouvait donc pas être présent au moment où l’incident criminel pour lequel il était accusé a eu lieu.


Pour Germain Katanga, les choses se sont passées différemment. Qui est Germain Katanga et quelle guerre menait-il ?


« L’histoire de Katanga est celle d’un orphelin congolais, chasseur occasionnel d’okapis qui, en 2004, alors qu’il est à peine âgé de 25 ans, est soudainement appelé à Kinshasa pour être nommé général de l’armée de la République démocratique du Congo », écrit Juan Branco. Branco a été employé au bureau du procureur de la CPI Luis Moreno-Ocampo et il est auteur d’ouvrages sur la CPI (2). Katanga n’a jamais servi en tant que général au combat.


Comment placer l’événement d’Ituri dans son contexte ?


Géographiquement, le Congo est le plus grand État d’Afrique australe et centrale, couvrant une superficie de 2 345 095 km², soit les deux tiers de l’Union européenne. Avec 80 millions d’hectares de terres arables et plus de 1 100 minéraux et métaux précieux identifiés (importants gisements de cuivre, de cobalt et de coltan, ainsi que de diamants, d’or, d’argent, d’étain, de minerai de fer, de zinc et de pétrole), la RDC a le potentiel pour devenir l’un des pays les plus riches du monde. Sa population est d’environ 81 millions d’habitants.


Aujourd’hui, l’Est du Congo est le théâtre de ce qui est probablement la guerre la plus meurtrière au monde, qui sévit depuis 1996. Des journalistes et des universitaires ont estimé le nombre de morts à une moyenne de 45 000 par mois. Plus de 12 millions de personnes ont perdu la vie dans cette guerre depuis 1996.


En 2003, la région sortait de ce que l’histoire congolaise appelle les guerres mondiales africaines : la première (1996-1997) et la deuxième (1998-2003) guerres du Congo.


La première guerre du Congo était une invasion étrangère du Zaïre (aujourd’hui le Congo) impliquant quelque huit pays dirigés par les États-Unis, un groupe rebelle forgé par l’Ouganda et le Rwanda, l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL). L’AFDL était soutenue par les gouvernements angolais, éthiopien, érythréen, tanzanien et zimbabwéen. Ces forces ont attaqué l’armée zaïroise et les groupes d’autodéfense locaux congolais.


L’invasion par l’AFDL a renversé le président congolais Mobutu Sésé Seko et l’a remplacé par le chef rebelle Laurent-Désiré Kabila. Lorsque le président Kabila a pris ses fonctions, il a demandé à ses anciens alliés de se retirer du territoire congolais avec leurs armées. En réponse, l’Ouganda et le Rwanda ont lancé le Rassemblement congolais pour la démocratie contre Kabila, en envahissant à nouveau l’est du Congo en août 1998.


Cet évènement a déclenché la deuxième guerre du Congo, la guerre la plus meurtrière de l’histoire africaine moderne. Elle a impliqué huit nations, une douzaine de groupes armés et a causé la mort de millions de personnes des suites des violences, mais aussi de la maladie et de la famine qui ont résulté du chaos de la guerre.


Le district de l’Ituri tire son nom de la rivière Ituri, qui part du lac Albert au nord et traverse le cœur de la région en direction du sud-ouest jusqu’à la réserve de faune à Okapis où elle rejoint la rivière Aruwimi qui se jette dans le grand fleuve Congo. L’Ituri dispose de riches ressources naturelles, notamment de terres fertiles, de forêts vierges et d’importants gisements d’or. Des milliers d’individus pratiquent la pêche sur le lac Albert, qui contient également des réserves de pétrole. Sur le plan administratif, l’Ituri, dont le chef-lieu est Bunia, est une sous-division de la Province Orientale, laquelle se compose de cinq territoires, chacun d’entre eux comptant plusieurs villages.


Dès le début de la deuxième guerre du Congo, en 1998, l’Ituri a été tenue par des soldats de l’armée nationale ougandaise, l’Uganda People’s Defence Force (UPDF), et par le Rassemblement congolais pour la démocratie – Mouvement de libération (RCD-ML), un mouvement rebelle soutenu par l’Ouganda.


En juin 1999, le commandant des forces de l’UPDF en RDC, le général James Kazini, ignorant les protestations des dirigeants du RCD-ML, a littéralement découpé la région de l’Ituri dans la partie orientale de la Province Orientale du nord-est de la RDC. Cet acte reflète celui du gouvernement colonial du Congo qui, en 1928, a modifié les frontières du district pour réunir les mines d’or de Kilo et Moto, créant ainsi le Kibali-Ituri.


Katanga est né en avril 1978 à Mambasa, dans les terres forestières au sud-ouest de Bunia, la capitale de la région. C’est son oncle maternel, militaire dans les Forces armées zaïroises (FAZ) sous Mobutu, et sa femme qui l’ont pris en charge dès sa naissance. Son oncle a été tué lors de la première guerre du Congo, en combattant les forces d’invasion de l’AFDL en 1996.


Après la mort de son oncle, Katanga s’est mis à la recherche de son père biologique, qu’il a retrouvé au bout de 18 mois, en octobre 1998, dans le village d’Aveba à Irumu, dans le sud de l’Ituri. Irumu comprend 12 villages. Parmi ceux-ci, un seul est Ngiti, la collectivité de Walendu-Bindi, terme qui signifie « communauté des Lendu-Sud ». Quatre autres collectivités de ce territoire sont Hema, tandis que les autres collectivités sont peuplées par divers groupes parmi les 18 ethnies de l’Ituri.


Son père était un infirmier protestant, de l’ethnie Ngiti, qui avait 15 enfants. Germain, alors âgé de 20 ans, a été adopté par la famille élargie et le village de son père.


Qui combattait qui en Ituri, dans l’est du Congo, à l’époque ? Un rapport d’un groupe d’experts des Nations unies datant d’octobre 2002 sur l’exploitation illégale des ressources naturelles examine de plus près cette question. Dans ce rapport, daté d’à peine quatre mois avant l’événement pour lequel Katanga est inculpé, on peut lire ceci : « Les opérations militaires de l’Uganda People’s Defence Force (UPDF) ont contribué à la prolifération des armes. L’UPDF a entraîné la milice de ses alliés commerciaux en Ituri, les Hema, et les victimes des attaques des Hema ont été forcées de se défendre. Les villages Lendu ont constitué leurs propres forces locales, et ont à leur tour fréquemment attaqué les villages Hema. La création de groupes d’autodéfense locaux est une méthode courante : les groupes ethniques locaux rassemblent fréquemment des groupes armés pour défendre leurs villages ou leurs collectivités » (3).


Un autre rapport de l’ONU, qui se penche sur les événements de janvier 2002 à décembre 2003, affirme que « L’armée ougandaise, déployée dans l’lturi depuis la fin de 1998, a attisé le conflit en apportant son appui, au moins au début, a certains notables Hema et, selon certains rapports, en bombardant plusieurs centaines de villages lendu. Certaines chefferies coutumières lendu ont alors organise des milices d’autodéfense »(4).


Le contrôle militaire sur des réseaux très informels, dans une région où l’État est absent, a facilité l’accès des commandants de l’armée nationale ougandaise (UPDF) aux ressources naturelles du Congo. Ces réseaux militaires de l’ombre étaient directement liés aux cercles restreints du régime ougandais.


Les figures de proue du régime ougandais qui ont joué un rôle crucial dans cette exploitation économique sont James Kazini et le général Salim Saleh, frère du président ougandais Yoweri Museveni. Tous deux ont été présentés par les chercheurs Vlassenroot, Perrot et Cuvelier comme une symbolique de l’émergence d’une nouvelle classe d’« entrepreneurs de l’insécurité» (5). Le frère de Museveni, le général Salim Saleh, a également été épinglé dans le rapport d’un groupe d’experts des Nations unies sur l’exploitation illégale des richesses du Congo, publié en 2001. En 2001, l’Ouganda a mis en place une commission d’enquête sur le pillage de l’est du Congo par l’Ouganda. David Porter, qui présidait cette commission, a recommandé que Salim Saleh ainsi que d’autres généraux et officiers de l’armée ougandaise soient traduits en justice.


En tant que Haut Commandant de l’UPDF en RDC de 1998 à 2000, James Kazini était le lien entre les officiers de l’armée nationale ougandaise (UPDF) et les chefs des groupes armés congolais. Des personnalités telles que Mbusa Nyamwisi et John Tibasiima du Rassemblement congolais pour la démocratie – Mouvement de libération (RCD-ML), Roger Lumbala du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD-National) et le Mouvement pour la libération du Congo (MLC) de Jean Pierre Bemba (6), étaient toutes sous son commandement et ont facilité ses transactions illégales de diamants, de coltan, de bois, de fausse monnaie, d’or et de café.


Entre juin 1999 et avril 2000 26 attaques ont été menées par des milices Hema contre des villages Lendu, dont 10 par les forces conjointes Hema-armée nationale ougandaise (UPDF), quatorze par les seules forces ougandaises et seulement deux par les seules milices Hema, écrit le groupe de réflexion International Crisis Group dans un rapport de 2003. Ainsi, sur une période de dix mois, les forces armées ougandaises ont été responsables de plus de la moitié des attaques sur le sol congolais


Le 10 avril 2001, Katanga, alors étudiant, a vu son école détruite par une attaque ougandaise au cours d’un massacre d’une violence extrême.


Rescapé parce que parti fumer en cachette pendant une pause entre deux cours, il avait alors réussi à trouver les chefs de son village qui avaient fui dans les montagnes. Ces derniers, lors d’une cérémonie religieuse, lui demandèrent de défendre sa communauté d’adoption, les Ngiti.


Katanga raconte : « Les villages de Kagaba, Geti, Aveba ont été bombardés de la même manière. Cela a conduit à la multiplication des contacts entre nous. Tout le monde s’est réuni. Le fait d’être attaqué nous a unis. Les anciens nous ont dit : nous nous sommes battus contre les Belges, contre Mobutu, c’est votre tour maintenant ».


Dans cette guerre asymétrique, les armes dont disposaient les groupes d’autodéfense à ce stade étaient principalement des flèches : « On faisait des embuscades, les Pygmées (7) nous aidaient, nous utilisions les flèches à poison qu’ils nous donnaient » (8).


Le conflit à Irumu s’est intensifié au début du mois de janvier 2001, lorsque l’armée ougandaise s’est fortement impliquée. Avec les milices Hema, l’UPDF a commencé à attaquer le Walendu-Bindi. Lorsque des hélicoptères de l’armée ougandaise ont attaqué la Coopérative pour le développement économique du Congo le 10 janvier 2001, des groupes d’autodéfense ont commencé à s’organiser dans les villages du district de Walendu-Bindi.


La coopérative était une institution ngiti majeure qui jouait dans toute la région un rôle social et économique. Elle produisait une grande partie des biens alimentaires et du charbon de bois de la région et approvisionnait en grande partie la capitale de la région, Bunia. Elle était un objet de grande fierté, une réalisation locale exceptionnelle, fondée sous Mobutu (9).


Selon les propres mots de Katanga : « Je n’ai jamais accepté la mort d’une personne, surtout par balle. Je n’ai jamais pu trouver cela naturel. J’y pense encore, ça me revient. Je devais le faire. Ma communauté était en danger. Ils avaient demandé mon aide ». Il poursuit : « Les Ougandais étaient là depuis longtemps, et pourtant il n’y avait jamais eu un seul incident. Nous n’aurions jamais pensé qu’ils nous attaqueraient, nous, la population civile : il n’y avait pas de combattants dans notre village, nous ne les avions jamais volés, il n’y avait pas de tension. Nous savions qu’il se passait des choses dans le nord, chez les Lendu. Mais cela ne nous concernait pas ».


Le 31 août 2002, au cours d’une attaque de l’UPC, 140 personnes ont été tuées et 787 ont disparu dans le village de Songolo, à 40 kilomètres au sud de Bunia, dans le district d’Irumu.


La Chambre de la CPI a reconnu que Katanga a été nommé en septembre 2002 comme simple garde du corps par l’un des principaux chefs spirituels de son village, Kasaki Bandru, un féticheur (sorcier) de 55 ans originaire d’Aveba.


« La Cour pénale internationale a trahi sa mission originelle en condamnant un villageois désigné par le pouvoir congolais comme un criminel de guerre », selon l’avocat international et juriste Juan Branco (10).


« La jurisprudence de la CPI, une fois intégrée dans le droit national, pourrait présenter de graves violations du droit à un procès équitable pour les accusés : le ouï-dire est accepté comme preuve ; il n’y a pas de ligne de communication en temps opportun et aucune transcription en temps réel n’est mise à disposition ».


C’est l’implication étrangère de l’Ouganda et du Rwanda en Ituri qui a conduit à la militarisation de conflits locaux portant sur les terres, des discordes facilitées par des autorités étatiques absentes ou corrompues, et par d’énormes inégalités socio-économiques.


La Cour a reçu des éléments de preuve à décharge selon lesquels Katanga se battait sous les ordres du gouvernement de Kinshasa pour reprendre l’est du Congo aux armées envahissantes ougandaises et rwandaises. « Le plus important est une lettre dont l’authenticité n’a pas été contestée et qui, datée du 23 novembre 2002, donne instruction au chef d’état-major de l’armée congolaise de préparer l’offensive sur l’Ituri. Elle est signée du directeur de cabinet adjoint de Joseph Kabila, Samba Kaputo », écrit Branco (11).


Toutes les opérations militaires étaient organisées par le gouvernement central via son quartier général opérationnel intégré mis en place à Bunia par l’armée nationale congolaise. L’objectif était de reprendre le territoire perdu après la fin de l’année 2002, contre le Rwanda, dans l’est du Congo.


Le groupe d’autodéfense Ngiti du Katanga, la Force de résistance patriotique en Ituri (FRPI) ne prenait aucune initiative sans le soutien et l’accord des principales autorités de Kinshasa, et aucune preuve n’a été apportée au procès concernant des attaques ou des pillages perpétrés par la FRPI toute seule.


En droit international coutumier, on a droit à la légitime défense lorsque la souveraineté d’un pays est violée. Dans le cas du Katanga, la Cour a inculpé un villageois qui a exécuté des ordres militaires donnés par son propre gouvernement légitime.


La CPI a choisi de qualifier le conflit d’ethnique et local, donc un CANI (conflit armé non-international) plutôt qu’un conflit international (CI). Pourtant, tous les éléments portent à croire que le conflit est de nature internationale. Une focalisation étroite sur les dynamiques nationales qui ignore les dimensions régionales d’un conflit risque de passer à côté de la compréhension des types de violence sur le terrain.


Cette qualification par la CPI va également dans le sens inverse des délibérations de la Cour internationale de justice qui, en 2005, dans l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), a condamné l’Ouganda pour avoir envahi et occupé l’est du Congo et lui a ordonné de payer des réparations à hauteur de 10 milliards de dollars. Réparations qui n’ont jamais été versées.


Le 17 mars 2006, Thomas Lubanga (12), fondateur de l’Union des patriotes congolais (UPC), une milice en Ituri initialement soutenue par l’Ouganda puis par le Rwanda, a été la première personne arrêtée en vertu d’un mandat délivré par la CPI.


Dans cette affaire cependant, les juges de la CPI ont insisté sur le caractère « international » de la guerre exténuante qui a duré de juillet 2002 à juin 2003. En revanche, les juges de la CPI dans le procès Katanga ont qualifié les événements de cette période comme faisant partie d’un conflit local, non international (13).


Au mépris total du droit international reconnu, Katanga a été condamné pour avoir pris part à l’opération de son propre gouvernement qui avait clairement reçu l’ordre de combattre une attaque rebelle – « un système de guerre » – sur le territoire congolais, d’abord par les forces ougandaises puis, après 2002, par l’armée rwandaise et son groupe rebelle mandataire, l’UPC. L’implication de Katanga, selon les normes internationales, était légitime puisque la frontière du pays avait été franchie et qu’il s’agissait d’une invasion pure et simple.


Alors que Katanga et Goda Sukpa du Front des nationalistes et intégrationnistes (FNI) se sont rendus à Kinshasa en janvier 2005 pour accepter leur rôle de généraux dans l’armée nationale congolaise (FARDC), nombre de leurs camarades ont continué à se battre. Katanga avait accepté de déposer les armes et de rejoindre l’armée nationale, mais il a néanmoins été arrêté par les autorités représentant la figure de proue pour laquelle il se battait.


Diriger par des guerres économiques par procuration


Un troisième et principal niveau de responsabilité pénale non abordé par les tribunaux, au-delà de l’Ouganda et du Rwanda en tant qu’États envahisseurs, chacun avec ses rebelles mandataires, est le rôle des ressources naturelles et des sociétés transnationales (STN) internationales.


Dans Noir Canada, pillage, corruption et criminalité en Afrique, Alain Deneault souligne le rôle de ces sociétés en Ituri: « les conflits autour du pétrole et de l’or ont été motivés par la présence sur place de sociétés canadiennes : AMFI, Barno, Barrick, Mindev dans le secteur de l’or et des autres minéraux, et Heritage Oil dans le secteur du pétrole. Par leur présence, elles ont provoqué les conflits, quand elles ne les ont pas réellement alimentés ».


« La deuxième guerre congolaise a été déclenchée principalement pour rendre à Barrick Gold Inc. les concessions minières que Laurent Désiré Kabila avait annulées », a déclaré le journaliste d’investigation américain et auteur du livre Genocide and Covert Operations in Africa 1993-1999 Wayne Marsden, devant la sous-commission du Congrès américain sur les opérations internationales et les droits de l’homme chargée des relations internationales.


« Au cours des six premiers mois de l’année 1997, il s’est produit un fait étonnant en Ouganda. Entre janvier et juin 1997, l’Ouganda a exporté 6 591 kilogrammes d’or, un volume ahurissant si l’on considère que deux ans auparavant, en 1995, il avait exporté seulement un kilogramme d’or. Pourtant, cette hausse des exportations d’or n’était qu’une partie de l’histoire. Elle est d’autant plus ahurissante qu’en 1997, les mines ougandaises ont produit en tout six kilogrammes d’or. D’où venait cet or excédentaire ? Comment s’est-il retrouvé en Ouganda pour être exporté ? », demande Dan Fahey, chercheur à l’Institut de la Vallée du Rift, dans un rapport publié en 2013, intitulé « L’Ituri : or, questions foncières et ethnicité dans le nord-est du Congo » (Ituri Gold, land, and ethnicity in north-eastern Congo).


En décembre 2000, Cynthia McKinney, alors membre du Congrès américain, s’est levée au Congrès et a lancé d’une voix tonitruante: « Le monde entier sait que l’Ouganda et le Rwanda sont des alliés des États-Unis et qu’ils ont reçu carte blanche, pour une raison qui nous échappe, pour semer le chaos au Congo ».


Les rapports du groupe d’experts des Nations unies sur l’exploitation illégale des ressources naturelles écartent la définition de la guerre en Ituri comme un conflit ethnique, affirmant que l’Ouganda et le Rwanda ont financé les hommes d’affaires locaux Hema afin qu’ils puissent contrôler les mines d’or lucratives de la région.


Dans les régions de Kilo et de Moto en Ituri, les gardes miniers de la société d’État zaïroise ont été remplacés par des sentinelles de l’armée nationale ougandaise ou rwandaise. Les recrues individuelles ont commencé à surveiller l’accès aux sites miniers en gardant les ponts et les barrages routiers stratégiques, ainsi qu’en prélevant des taxes auprès des mineurs et des commerçants locaux. En plus de contrôler l’exportation des ressources naturelles, les militaires ougandais et rwandais contrôlaient les importations et la distribution de marchandises.


Le secteur minier représente plus de 80 % du produit intérieur brut (PIB) de la RDC. Parmi ces activités minières, l’extraction artisanale représente environ 90 % de la production du pays et aujourd’hui encore, contribue le plus au PIB du pays. Selon une étude réalisée par une ONG en 2011, dans le seul district d’Ituri, entre 60 000 et 150 000 exploitants artisanaux seraient exclusivement engagés dans l’extraction aurifère. Officiellement, il n’y a pas de conflit d’intérêts entre les exploitants artisanaux et les entreprises minières industrielles, puisque le Code minier congolais de 2002 (14) n’autorise l’exploitation artisanale que jusqu’à 30 mètres au maximum, laissant le reste à l’exploitation industrielle. Toutefois, dans la pratique, il est difficile d’appliquer de tels accords. Les exploitants artisanaux craignent d’être déplacés et privés de leurs moyens de subsistance.


Dans certaines régions, ce sont des groupes militaires qui contrôlent en réalité les mines et qui effectuent eux-mêmes les travaux d’excavation, tandis que dans d’autres régions, le personnel militaire taxe illégalement les mineurs artisanaux, sur place ou lors du transport des minéraux vers la ville ou le point de vente le plus proche. Ils perpétuent également l’insécurité en favorisant l’émergence de seigneurs de guerre locaux militarisés.


« En Ituri, nous sommes plongés dans une guerre pour le pétrole. Si vous comparez la carte des gisements pétroliers de la région du Lac Albert à celle des massacres, il y a vraiment une ressemblance étrange », a déclaré Jean-Baptiste Dhetchuvi, porte-parole de l’UPC (15).


Le 6 septembre 2002, les gouvernements de la RDC et de l’Ouganda signent l’Accord de Luanda qui crée également une Commission de Pacification de l’Ituri (ICP) assistée par les Nations unies. L’Ouganda s’était engagé à retirer ses troupes de Bunia dans les 80 jours suivant l’inauguration de l’ICP. Dans le sillage de cet accord, Joseph Kabila – devenu président après l’assassinat de son père en janvier 2001 – et le président ougandais Museveni ont commencé à coordonner leurs activités en Ituri.


Comme l’UPC à prédominance Hema cherchait désormais à obtenir le soutien du Rwanda, l’allié de l’Ouganda devenu son rival, l’Ouganda a changé de camp et a commencé à collaborer avec le gouvernement congolais – ensemble, Kampala et Kinshasa ont soutenu la création officielle des groupes d’autodéfense FNI et FRPI à prédominance Lendu (FNI). Néanmoins, la décentralisation est restée une caractéristique essentielle de ces groupes d’autodéfense Lendu.


En mars 2003, le FNI et la FRPI, avec l’aide de l’armée congolaise et ougandaise, ont chassé l’UPC de Bunia, la capitale de l’Ituri. Toutefois, après le retrait de l’UPDF de Bunia le 6 mai 2003, l’UPC – désormais approvisionnée par le Rwanda – a repris la capitale du district.


L’UPC est devenue le mandataire du Rwanda. « Avant l’attaque visant à reprendre Bunia le 12 mai 2003, le Rwanda avait fourni des armes à l’UPC et ramené Lubanga et Ntaganda de Kigali. Le Rwanda aurait dit à l’UPC que, pour améliorer leur position de négociation, ils devaient reprendre Bunia avant l’arrivée de contingents de maintien de la paix supplémentaires » (16).


En juin 2003, les combats s’étaient tellement intensifiés qu’une force d’intervention multinationale, Artémis, la première opération militaire autonome de l’Union européenne en dehors de l’Europe, a été déployée à Bunia, suivie par une mission des Nations unies.


Qui suivait les événements ?


« La principale preuve utilisée contre Katanga au procès a été fournie par un seul rapport d’une ONG réalisé par un chercheur qui a passé quelques heures dans le village plusieurs mois après les faits », a écrit Branco.


Les parents de certains des enfants qui auraient été enlevés par des groupes rebelles pour servir d’enfants soldats ont témoigné devant la CPI. Ils ont affirmé que leurs enfants n’avaient pas été enrôlés. Toutefois, ils ont été corrompus pour témoigner devant la CPI sur leurs combats en tant qu’enfants soldats, ce que leurs parents ne savaient pas, écrit la journaliste du Monde Stéphanie Maupas dans son livre consacré à la CPI, ‘Le Joker des puissants’. Tous ces éléments soulèvent la question de savoir comment les intermédiaires payés par la CPI recueillent des témoignages dans des pays marqués par des situations sociales fragiles et des économies faibles.


Katanga n’était pas présent sur les lieux de l’attaque de Bogoro le 24 février 2003, pourtant c’est sur cela que l’on s’est fondé pour le traduire en justice. À l’époque, il y avait une base militaire ougandaise à Bogoro.


La Chambre de première instance a acquitté Katanga de toutes les accusations portées contre lui, y compris le viol, la réduction en esclavage sexuel et l’utilisation d’enfants soldats. L’accusation de viol a été particulièrement écrasante pour Katanga à titre personnel, car les règles traditionnelles locales étaient très strictes en matière de comportement approprié en temps de guerre, et le viol était l’ultime tabou. Et si la Chambre l’a reconnu coupable d’un crime contre l’humanité (meurtre) et de quatre crimes de guerre (meurtre, attaque dirigée contre des civils, destruction de propriété et pillage), elle a rejeté sa responsabilité pour ces crimes en tant que coauteur indirect. Elle a plutôt « requalifié » la forme de responsabilité pénale et l’a déclaré coupable en tant que « complice ».


Katanga, âgé de vingt-quatre ans, a été reconnu coupable d’avoir aidé au transit et au stockage d’armes pour son gouvernement. Ces armes ont ensuite été utilisées dans le cadre d’une attaque contre une milice alliée à l’armée ougandaise qui a tué 30 à 60 civils.


Le Procureur de la CPI, en somme, n’a pu prouver aucune de ses revendications juridiques – tout comme il a échoué en ce qui concerne le co-accusé de Katanga, Mathieu Ngudjolo, qui avait été acquitté. « La ‘requalification’ des faits dans cette affaire par la Chambre de première instance, de coupable en tant que coauteur indirect à coupable en tant que ‘complice’, « n’avait d’autre motivation que le désir d’assurer la condamnation de Katanga – permettant ainsi au Bureau du Procureur de sauver la face – et était fondamentalement incompatible avec le droit de Katanga à un procès équitable », a écrit l’expert juridique Kevin Jon Heller, le 8 mars 2014, dans ‘Another Terrible Day for the Office of the Prosecutor’, pour le forum en ligne de droit international et de relations internationales Opinio Juris.


Lors du procès, Katanga a souligné la distinction fondamentale entre les grades conférés aux forces d’autodéfense – le titre de colonel ou de lieutenant général pouvait être obtenu facilement – et les grades conférés dans l’armée nationale : « Monsieur David à l’époque, même après la chute de Bunia, quand vous posiez la question, 20 personnes sur 30 répondaient qu’elles sont des commandants. Les gens créaient des noms, des titres... uniquement pour que l’on sache qu’ils étaient forts eux aussi ».


L’Institut de la Vallée du Rift a publié le rapport d’un chercheur de l’Université d’Oxford sur le conflit en Ituri qui dit exactement la même chose. « C’est au son des tambours, l’outil traditionnel pour avertir les villages voisins d’un danger imminent, que les groupes d’autodéfense Lendu apparurent, village après village, en réaction à l’activité des milices Hema. Quiconque était à l’origine d’un de ces soulèvements spontanés ou démontrait sa force sur le champ de bataille était automatiquement nommé commandant, tandis que les autres étaient de simples combattant », écrit Branco (17).


En mai 2014, après 13 ans d’emprisonnement, Katanga a été condamné à 12 ans de prison. Sa peine a été réduite des sept ans passés à La Haye.


L’un des trois juges présidents, la juge Van den Wyngaert, a publié une virulente opinion dissidente soulignant la nécessité d’évaluer les exigences de la justice. « … on ne saurait simplement mesurer la réussite ou l’échec de la Cour en termes de condamnation de « méchants » et de réparations accordées aux innocentes victimes. Ce qui détermine la réussite ou l’échec, c’est avant tout la réponse à la question de savoir si la procédure est, tout entière, équitable et juste. Ce qui soulève la question de la norme au regard de laquelle il convient d’évaluer l’équité et la justice. À mes yeux, le procès doit avant tout être équitable envers l’accusé. »


Katanga a décidé de ne pas faire appel, principalement en raison de la longueur des procédures judiciaires de la CPI, qui risquaient d’aller au-delà de la peine qu’il aurait à purger. Ce détail terrible confirme la grave violation des droits à un procès équitable – et donc à un procès rapide – un thème récurrent dans de nombreuses autres affaires de la CPI.


En raison de sa coopération continue avec la Cour et du fait qu’il a réellement désavoué ses crimes, les juges de la CPI ont réduit sa peine de trois ans et huit mois. En comptabilisant le temps passé depuis son arrestation en 2007, Katanga devait être libéré le 18 janvier 2016.


À ce jour, Katanga, qui a été transféré en RDC pour y purger le reste de sa peine, n’a pas été libéré.


Au contraire, il est à nouveau jugé suite à une décision de la Procurature militaire de Kinshasa de l’inculper pour crimes de guerre (enrôlement et utilisation d’enfants de moins de 15 ans), crimes contre l’humanité (meurtres) et pour sa participation présumée à un mouvement insurrectionnel connu sous le nom de FNI/FRPI de 2003 à 2005. « Les procédures sont cependant actuellement ajournées en raison de l’indisponibilité de certains membres de la Haute Cour Militaire. La reprise du procès a été annoncée en février 2017, mais aucune audience n’a encore eu lieu », indique Catherine Denise, conseillère juridique d’Avocats sans frontières, un organisme de surveillance international.


Dans une déclaration publiée à La Haye par la CPI, le 7 avril 2016, la Cour a approuvé la décision du tribunal congolais concernant le nouveau procès de Katanga. Selon la Cour, les allégations portées contre Katanga dans la procédure de la République démocratique du Congo ne sont pas les mêmes que celles pour lesquelles il a été jugé à La Haye.


Cela constitue une violation flagrante de la « double incrimination » ou de l’article 20 du Statut de Rome : « Nul ne peut être jugé par une autre juridiction pour un crime pour lequel il a déjà été condamné ou acquitté par la Cour ».


« Katanga parle le lingala et le kingwana, un sous-dialecte issu du swahili, qui n’est pas la langue parlée par l’ethnie Ngiti. Il a appris le français et l’anglais en prison. Son surnom, Simba, « le lion », vient du kingwana. Le Procureur associe à tort ce surnom à ses victoires militaires, alors qu’en fait il lui a été donné affectueusement dès la naissance par ses parents en hommage à son grand-père maternel, ainsi dénommé », écrit Branco. Malgré cela, des articles de presse et des essais dans le monde entier continuent à ce jour à répéter l’attribution erronée au procès, en persistant à l’appeler le « Lion de l’Ituri » et perpétuant ainsi un déferlement de mésinformation.


Quelles règles pour qui ?


Bosco Ntaganda est né à Kinigi, au Rwanda, en 1973. Alors qu’il était encore adolescent, sa famille, issue du sous-groupe Gogwe de la communauté tutsie, a déménagé pour rejoindre d’autres membres de la famille à Ngungu, dans le sud du territoire de Masisi au Nord-Kivu. Il y a fréquenté l’école secondaire, mais a abandonné ses études à l’âge de 17 ans pour rejoindre le Front patriotique rwandais (FPR) dans ses camps de réfugiés dans le sud de l’Ouganda. Il a ensuite combattu avec le Front patriotique rwandais (FPR) qui a renversé le gouvernement rwandais en juillet 1994.


Ntaganda était connu à l’époque sous le nom de « Terminator » en raison de sa brutalité. Il s’est forgé une réputation de combattant redoutable, réputation qu’il consolidera au cours de sa carrière dans au moins six groupes armés différents, tous soutenus par le Rwanda – l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL) de Laurent Kabila; la rébellion soutenue par le Rwanda, le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) en 1998, qui a déclenché la deuxième guerre congolaise, où il est devenu le garde du corps de son président, Ernest Wamba dia Wamba. Il a continué à travailler pour Wamba lorsque celui-ci a créé par la suite un groupe dissident soutenu par l’Ouganda, le Mouvement de libération (RCD-ML ou RCD-Kisangani). Il a ensuite été chef des opérations de l’Union des patriotes congolais (UPC) de Thomas Lubanga. Lorsque l’UPC a commencé à s’effondrer fin 2005, Ntaganda a finalement quitté l’Ituri pour rejoindre le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) de Laurent Nkunda au Nord-Kivu, dont il est devenu le chef d’état-major.


En 2009, un processus de paix a disposé que les soldats rwandais du CNDP seraient intégrés dans l’armée nationale congolaise (FARDC). Ntaganda est devenu le commandant adjoint de l’opération militaire Kima II dans les Kivu, la même région de l’est du Congo où il a fait des ravages au cours de la décennie précédente en tant que rebelle, selon un rapport de l’ONU de 2009.


« En renvoyant ses troupes dans l’est du Congo, au motif fallacieux de traquer les FDLR, Kagame a repris le contrôle des circuits économiques qu’il commençait à perdre », affirme le juriste, historien et militant des droits de l’homme Boniface Musavuli (18).


Ntaganda a fait défection par la suite et a commandé un autre mouvement rebelle soutenu par le Rwanda, le M23, mais finalement, il a été évincé par son chef, Sultani Makenga. Des luttes intestines ont éclaté entre les deux factions et se sont intensifiées à Goma, la capitale du Nord-Kivu, en novembre 2012. Finalement, des violences généralisées ont éclaté fin février 2013.


Ntaganda a combattu pendant deux décennies dans l’est du Congo. Toutefois, les charges retenues contre lui par la CPI ne portent que sur les événements survenus dans la région de l’Ituri entre 2002 et 2003, où il occupait le poste de chef adjoint du bras armée de l’UPC, les Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC).


Pourquoi le procureur de la CPI a-t-il choisi de circonscrire la période pour laquelle Ntaganda était inculpé à 2002-2003 et à la région limitée de l’Ituri ? Impossible de le comprendre. En agissant ainsi, la CPI s’écarte de l’épicentre de la violence des deux dernières décennies.


Par exemple, le groupe rebelle RCD, soutenu par le Rwanda, a conservé le contrôle d’un vaste territoire composé de plusieurs régions : Nord-Kivu, Sud-Kivu, Maniema, Nord-Katanga, Kasaï oriental et Kisangani.


Les régions de l’est du Congo, le Nord et le Sud-Kivu, régions examinées par l’ONU comme de possibles zones chaudes de génocide, sont complètement omises des actes d’accusation de la CPI.


L’impunité dont jouissent les mouvements rebelles qui ont commis de graves crimes contre l’humanité dans la région du Kivu s’est traduite par une déstabilisation accrue en créant une armée dans l’armée, déclare Boniface Musavuli.


Selon l’auteur, cela est dû en partie à l’accord de paix, l’Accord global et inclusif, qui a établi un cadre pour un gouvernement de transition, l’intégration des services de sécurité, et a exigé des élections dans tout le pays. Le chef du groupe rebelle RCD soutenu par le Rwanda, Azarias Ruberwa, a été nommé parmi les quatre vice-présidents du pays, tandis que des officiers supérieurs du RCD ont obtenu des postes de haut rang et le contrôle des régions du Nord-Kivu et du Kasaï occidental.


L’impunité de ceux qui ont alimenté ces agressions rebelles soutenues par l’étranger n’a fait que conduire à la poursuite de la guerre jusqu’à aujourd’hui, avec comme point culminant les génocides congolais (19), tel que Musavuli les a appelés, dans la mesure où les mêmes forces rebelles, sous différents acronymes – précédemment l’AFDL en 1996, le RCD-Goma en 1998, l’UPC en 2002, Mutebutsi en 2004, le CNDP en 2007, le M23 en 2012 – combattent et occupent des territoires.


En ne reconnaissant pas la guerre d’agression internationale dans l’est du Congo dans sa jurisprudence, la CPI n’a fait que contribuer à encourager cette impunité.


Deux autres personnes inculpées ont été acquittées après avoir été jugées : le Congolais Mathieu Ngudjolo, co-accusé de Katanga, ainsi que le leader rwandais des FDLR Callixte Mbarushimana.


Qui sont les rebelles des FDLR – l’acronyme français des Forces démocratiques de libération du Rwanda ? Beaucoup, y compris la prisonnière politique Victoire Ingabire et le leader de l’opposition en exil et ancien Premier ministre rwandais Faustin Twagiramungu, affirment qu’ils sont simplement des réfugiés rwandais désireux de protéger plus de 100 000 survivants de l’exode de 1994 du Rwanda vers l’est de la République démocratique du Congo et leurs enfants nés en exil. C’est ce que soutenait également l’ancien président tanzanien Jacaya Kikwete qui a exhorté le président rwandais Paul Kagame à négocier le retour en toute sécurité des réfugiés au Rwanda.


Des documents confidentiels publiés dans Europe, Crimes et Censure au Congo par le spécialiste et historien des Grands Lacs Charles Onana, révèlent que l’Union européenne savait que le groupe rebelle des FDLR ne constituait pas une menace réelle pour la stabilité du Rwanda, au moins depuis 2005, bien qu’elle prétende officiellement le contraire.


Le prétexte fallacieux pour l’invasion de l’est du Congo – la crainte d’une réaction brutale des réfugiés hutus, dont 2 millions avaient fui vers l’est du Congo en 1994 – a été utilisé par le Rwanda pendant deux décennies, dès 1996, souligne Alain Denault dans Noir Canada, Pillage, corruption et criminalité en Afrique.

Aujourd’hui en exil en Europe, Callixte Mbarushimana est un exemple de bouc émissaire. Mbarushimana est un Rwandais appartenant à l’ethnie hutu et un ancien employé des Nations Unies qui aurait participé au génocide rwandais de 1994.


Les autorités rwandaises ont lancé un mandat d’arrêt international contre Mbarushimana en 2001, alors qu’il travaillait au Kosovo. Cependant, un tribunal de l’ONU ainsi que deux tribunaux locaux (la cour suprême du Kosovo et un panel de trois juges du district de Gnjilane en ex-Yougoslavie), après examen du dossier, ont décidé qu’il n’y avait pas de motifs pour son arrestation et son extradition. En 2002, le procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), Carla del Ponte, a également rejeté les accusations après avoir examiné attentivement le dossier.


Entre-temps, Mbarushimana a perdu son emploi. Après deux audiences, il a obtenu le droit de récupérer son poste ainsi que son salaire.


En 2008, Mbarushimana a été arrêté à l’aéroport de Francfort dans le cadre d’une affaire ouverte en Allemagne contre le président des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) Ignace Murwanashyaka et son adjoint, Straton Musoni. Il a été emprisonné pendant plusieurs mois avant d’être libéré. Le procès de Stuttgart – le premier du genre en Allemagne à utiliser le nouveau droit pénal connu sous le nom de Völkerstrafgesetzbuch (code pénal international) – est un exemple de la manière dont la jurisprudence de la CPI, une fois intégrée dans le droit national, pourrait entraîner de graves violations du droit à un procès équitable pour les accusés : le ouï-dire est accepté comme preuve ; il n’y a pas de ligne de communication en temps opportun et aucune transcription en temps réel n’est mise la disposition de la presse; les audiences se déroulent en grande partie à huis clos et ne sont pas accessibles au public. Le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains (ECCHR), basé à Berlin et seule ONG à suivre ce premier procès allemand mettant en application le nouveau droit pénal international, estime qu’il semble pécher par l’analyse et la recherche rigoureuse.


Malgré les décisions des précédents tribunaux de l’innocenter de toute implication dans le génocide rwandais de 1994, Mbarushimana a été arrêté une nouvelle fois en France pour avoir été un chef de file des Hutus exilés en République démocratique du Congo en octobre 2010.


Le 28 septembre 2010, Mbarushimana a été inculpé par la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye – cette fois pour des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre qui auraient été commis en République démocratique du Congo en 2009 alors qu’il était président des FDLR. Il a été extradé vers la CPI le 25 janvier 2011.


Il a toutefois été libéré le 23 décembre 2011 après que la CPI a estimé que les éléments de preuves étaient insuffisants pour le poursuivre. Les preuves présentées par le procureur lors du procès auraient été insuffisantes même pour une affaire de diffamation, puisque Mbarushimana a le droit de critiquer le régime de Paul Kagame, commente Stéphanie Maupas dans son livre sur la CPI.


A son arrivée à Paris quatre jours plus tard, il a été à nouveau interrogé par les autorités françaises, cette fois concernant une autre affaire ouverte en 2010 à Paris contre lui, pour le génocide de 1994.


Le militant non violent espagnol Juan Carrero, qui a été accusé dans un rapport de l’ONU en 2009 de financer les FDLR, affirme être la cible de reportages superficiels et d’une campagne de dénigrement menée contre lui. En 1997, Carrero a fait une grève de la faim de 42 jours devant le Parlement européen pour alerter le monde sur la situation critique des réfugiés hutus au Congo. Il a joué un rôle clé en aidant la justice espagnole dans son enquête sur le meurtre de missionnaires espagnols au Rwanda et au Congo. « Un rapport qui considère tous les réfugiés Hutus au Congo comme des génocidaires (auteurs du génocide), alors que beaucoup sont nés après le génocide de 1994, est trompeur », dit-il.


En 2008, le juge espagnol Fernando Andreu Merelles a lancé des mandats d’arrêt internationaux contre 40 dirigeants du Front patriotique rwandais (FPR), le parti politique au pouvoir dans le pays, pour « actes de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et actes de terrorisme ». Carrero a également lancé l’initiative de dialogue inter-rwandais dans l’espoir d’établir une réconciliation authentique au Rwanda aujourd’hui.


« Ce n’est pas pour rien que la politique de l’Union européenne a désigné les FDLR comme les principaux coupables dans l’est du Congo, car c’est une façon d’éviter de mettre le doigt sur les véritables responsables de la guerre, à savoir les forces rebelles ougandaises et rwandaises soutenues par les États-Unis et le Royaume-Uni, qui font des ravages dans l’est du Congo depuis 1996 », explique Juan Carrero.


« La communauté internationale demande à ces réfugiés de déposer les armes, quand bien même cela laisserait des communautés entières en proie aux attaques des rebelles dans la région. Les médias internationaux ferment les yeux sur le fait que les FDLR ont demandé à maintes reprises un dialogue avec le gouvernement rwandais pour obtenir une protection en échange du désarmement, mais se sont heurtées au refus de ce dernier. Si les Hutu n’ont d’autre choix que le rapatriement, l’emprisonnement éventuel et la torture, il est difficile de comprendre les attentes de la communauté internationale », déclare Carrero (20).


Les FDLR ne sont pas les agresseurs, mais plutôt les rebelles soutenus par le Rwanda. Le Rwanda a toujours maintenu que ses forces se sont certes déployées le long de sa frontière avec la RDC, mais n’ont pas pénétré en territoire congolais. Cette position est soutenue par les responsables américains et onusiens. Les responsables congolais, en revanche, affirment que les soldats rwandais ont été capturés à l’intérieur du Congo (21).


Ne pas appliquer la jurisprudence internationale coutumière à l’agression lorsqu’on analyse des conflits non seulement fausse la justice en soi, mais a également des conséquences dévastatrices pour la population concernée.


Un coup d’état franco-onusien


Lorsque la crise de 2010-2011 en Côte d’Ivoire a pris fin en avril 2011 par une intervention de l’ONU, Thabo Mbeki, médiateur de longue date du processus de paix, a écrit What the world got wrong in Côte d’Ivoire (Qu’est-ce que le monde s’est trompé en Côte d’Ivoire). L’examen des bouleversements survenus dans le pays est apparemment resté lettre morte. Il n’a jamais été mentionné ni pris en compte dans l’accusation du procureur de la CPI. L’ancien secrétaire général d’Amnesty International, Pierre Sané, a évoqué la « logique de l’absurde » mise en œuvre par l’intervention militaire de l’ONU et de la France pour évincer le président élu Laurent Gbagbo, vainqueur légitime des élections de novembre 2010. C’est Gbagbo lui-même qui avait demandé un nouveau dépouillement des votes.


Dans ce qui ressemble de plus en plus à une « criminalisation de la justice internationale », la CPI tient actuellement un procès contre deux leaders panafricanistes non violents et démocrates de la Côte d’Ivoire, un pays d’Afrique de l’Ouest : Laurent Gbagbo et le activiste et Ministre de la Jeunesse Charles Blé Goudé. Même au tout début de sa phase préliminaire, ce procès a été jugé tellement dépourvu de preuves à charge que l’ancien président mozambicain Joaquim Chissano a déclaré qu’il n’aurait jamais dû avoir lieu (22).


Dans cette affaire, la CPI (comme cela a été analysé en détail dans divers articles) (23) a légitimé un coup d’État, ce qui ne pouvait que conduire à un régime autoritaire et à une plus grande instabilité.


En se rangeant du côté d’un récit déformé et en dépeignant un agresseur, Alassane Ouattara, comme une option démocratique acceptable, la Cour invalide son autorité impartiale. De nombreux diplomates, hommes politiques et journalistes hésitent à exprimer ouvertement leur appréciation de Gbagbo et de Blé Goudé en tant que symboles d’un mouvement de résistance démocratique, socialiste et non violent en faveur d’un véritable changement sur le continent africain, en raison de la voix dominante de la CPI.


La situation en Côte d’Ivoire reste instable et les civils demeurent dans des conditions précaires qui ont suivi l’arrestation de Gbagbo et la nomination de Ouattara. Le 6 janvier 2017, une mutinerie militaire à Bouaké, l’ancien quartier général de la rébellion des Forces Nouvelles qui a porté Ouattara au pouvoir, s’est rapidement propagée dans tout le pays ; les mutins réclamaient le reliquat de leurs primes. De nombreux anciens rebelles occupent aujourd’hui des postes importants dans le régime actuel ; ils ont été intégrés dans l’armée nationale ou « certains d’entre eux ont également conservé leurs milices personnelles et disposaient d’un important arsenal militaire privé. Le scénario était le même partout: les soldats sortaient de leurs camps, tiraient en l’air et bloquaient les artères principales », écrit Fanny Pigeaud, auteur de ‘France-Côte d’Ivoire, une histoire tronquée (24). La plupart des secteurs de l’économie sont actuellement en grève et le gouvernement a sévèrement réprimé les syndicalistes, les journalistes et les leaders de l’opposition.


La constitution ivoirienne stipule qu’il ne doit pas y avoir de réfugié en temps de paix, et pourtant on compte aujourd’hui plus de 100 000 réfugiés ivoiriens dans les pays voisins et d’innombrables autres qui fuient vers l’Europe.

Depuis septembre 2015, dans les trois centres ghanéens d’aide aux réfugiés qui hébergent environ 11 000 Ivoiriens, l’aide alimentaire a été coupée, malgré la dépendance totale à cette aide pour la survie, selon les enquêtes du Programme alimentaire mondial. Les taux de malnutrition ont atteint 10 % avant même les réductions progressives de l’aide alimentaire. Une enquête nutritionnelle de mai 2013 a fait ressortir un taux de malnutrition aiguë globale (MAG) de 10,9 % dans le camp d’Ampain, de 6,1 % dans le camp d’Egyeikrom et de 7,1 % dans le camp de Fetentaa. Ampain a enregistré une augmentation de 2,2 % de la MAG, considérée comme « grave » selon la classification de l’Organisation mondiale de la santé. Malgré ces statistiques, le HCR a supprimé progressivement le programme nutritionnel et l’a remplacé par des programmes d’acquisition de compétences et de formation pour certains réfugiés. En dépit de ces circonstances désastreuses, les réfugiés ne rentrent pas en raison des nouvelles d’enlèvement, d’emprisonnement ou d’occupation de leurs terres qui leur parviennent.


De plus, ces réfugiés ivoiriens craignent de se retrouver en situation de déplacés internes. Et à juste titre.


Six ans après la crise de 2011 en Côte d’Ivoire, on compte encore 303 000 déplacés internes, et leur nombre a augmenté sous le régime d’Alassane Ouattara (24 000 nouveaux déplacés en 2012 ; 29 500 en 2013 ; 5 500 en 2014 ; et 3 200 en 2016 ;) selon le Centre de surveillance des déplacements internes des rapports mondiaux du Conseil norvégien pour les réfugiés.


Une autre crainte des réfugiés est le ciblage de la population Wé dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, que certains militants des droits de l’homme qualifient de génocide.


Peu après l’arrestation de Gbagbo en 2011, des bus remplis de ses partisans partant de toute l’Europe ont commencé à affluer à La Haye pour demander sa libération. Ils n’ont cessé, pendant six ans, de venir manifester devant la CPI. Le procès qui a débuté en 2011 a repris le 6 février 2017. Jusqu’à présent, il n’a produit aucun élément de preuve matérielle de quelque intention criminelle que ce soit ou d’actions de la part du gouvernement Gbagbo pour étayer le dossier du procureur. Il n’a pas non plus présenté des témoins plausibles ou crédibles.


Lors de la réouverture du procès en 2017, le premier témoin cité, Salifou Ouédraogo, a remis au procureur deux vidéos. L’une d’elle était une scène violente montrant des personnes brûlées vives. Cependant, il s’est avéré qu’en réalité, cette séquence avait été filmée au Kenya en 2007, et non dans la ville ivoirienne de Yopougon en 2011. Dès février 2013, la défense de Gbagbo avait souligné que la vidéo était dans une langue qui n’est pas parlée en Côte d’Ivoire, le swahili, et pourtant le témoin était toujours cité à comparaître.


Des chances de paix qui s’amenuisent


Sur les 16 affaires restantes, sept ont été classées avant d’arriver à un procès, soit parce que le suspect a été renvoyé, soit parce qu’il a été acquitté pour insuffisance de preuves, et deux affaires kenyanes ont été classées (26).


Les États africains ont fait valoir que les actes d’accusation de la CPI interfèrent négativement avec les processus de paix en cours pour régler les conflits par la médiation.


C’est en fait ce qui s’est passé en Ouganda : le processus de paix de Juba, entamé en 2006, s’est effondré et a conduit à la poursuite de la guerre, en raison principalement du refus de la CPI de retirer l’acte d’accusation prononcé en 2005 à l’encontre du chef rebelle de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), Joseph Kony. La CPI a persisté dans son refus, bien que de nombreux représentants du gouvernement ougandais de l’époque se soient rendus à La Haye et l’aient priée d’abandonner les charges au nom du processus de paix et de la fin de la guerre. Personne ne sait où se trouve exactement le chef de la LRA (27) aujourd’hui.


Les principaux participants étrangers au processus de paix ougandais, tels que l’évêque sud-africain Desmond Tutu et l’ambassadeur Emyr Jones Parry, représentant du Royaume-Uni auprès des Nations unies, ont reconnu que le rôle de la CPI en Ouganda a probablement amenuisé les chances de résolution pacifique du conflit ougandais (28).


On peut dire que l’intervention de l’OTAN en Libye qui a débuté le 19 mars 2011 a été le résultat d’informations erronées. Les médias ont relayé des allégations selon lesquelles Kadhafi faisait distribuer du Viagra à ses soldats et qu’il avait ordonné les bombardements visant des civils dans la ville de Benghazi pour réprimer les soulèvements populaires.


Pourtant, dans son enquête récente sur la crise libyenne de 2011, intitulée « Objectif Kadhafi » (29), le politologue et historien Patrick Mbeko fait valoir qu’il s’agissait d’une propagande à l’instigation de la CIA. Pour les trois mises en accusation de la CPI en Libye, dont celle de Kadhafi, aucune enquête indépendante n’a été menée.


En outre, en mars 2013, la CPI a acquitté Francis Muthaura, directeur de Cabinet de la présidence du Kenya, qui était accusé d’avoir participé aux violences post-électorales de 2007 dans son pays. À la suite de la décision de la Cour de retirer les charges, Muthaura – qui, en tant qu’ambassadeur du Kenya auprès de l’ONU, président de la Quatrième Commission et président du Comité sur la révision de la Charte de l’ONU, avait toujours soutenu le droit international et œuvré pour faire avancer la cause de la Cour – a publié une déclaration personnelle expliquant son « épouvantable odyssée » à la CPI.


« Je me suis rendu à la CPI alors que les accusations portées contre moi ont toujours été sans fondement et injustes. Je n’ai jamais pensé que je serais la cible de la CPI ou de tout autre tribunal car j’ai toujours vécu ma vie dans le respect de la loi. Jamais je n’aurais cru que les fausses allégations proférées contre moi seraient acceptées comme une vérité par la CPI ».


Muthaura a déclaré qu’il était profondément attristé. « J’ai vu la justice bafouée et malmenée par ceux dont le devoir premier était de la respecter et de la protéger à tout prix. C’est une injustice que des accusations aient été portées par le procureur. C’est une tragédie que les garanties visant à prévenir l’utilisation abusive du mécanisme de la CPI aient si clairement et si manifestement échoué ».


Dans son ouvrage intitulé « In Hearing Tried People in International Criminal Justice: Sympathy for the Devil? », Damien Scalia, chercheur en droit pénal international à l’Université de Louvain en Belgique, plaide pour la nécessité d’inclure le point de vue des personnes condamnées afin d’évaluer le travail de la CPI. Faire la lumière sur ces expériences pourrait permettre de mieux comprendre les procédures en cours.


En 15 ans, trois affaires ont abouti à une peine de prison (30). Pourtant, on en sait très peu sur ces personnes.


Le moins que l’on puisse dire, c’est que la CPI a été une expérience téméraire de ce qu’Amartya Sen a identifié dans ‘The idea of Justice’ (L’idée de justice) comme une tendance dérivée de l’école de l’institutionnalisme transcendantal, à savoir une justice qui se fonde à l’excès sur les institutions.


Une autre école de pensée adopte en revanche une approche comparative centrée sur les réalisations, c’est-à-dire les réalisations en matière d’enquête basée sur des comparaisons axées sur le progrès ou le recul de la justice et sur la vie que les êtres humains ont la possibilité de mener. « La concentration sur la vie réelle dans l’évaluation de la justice a de nombreuses implications profondes sur la nature et la portée de l’idée de justice », écrit Sen.


Il met en évidence des formes distinctes de justice pour lesquelles l’idée de justice doit répondre à celles identifiées dans la jurisprudence indienne d’antan – entre niti et nyaya. La niti renvoie à l’organisation appropriée et au comportement correct, tandis que la nyaya se soucie de ce qui émerge.


La jurisprudence indienne d’antan mettait ainsi en garde : « Il est crucial de veiller à ce que la « justice des poissons », appelée matsyanyaya, n’envahisse pas le monde humain. L’idée centrale est la suivante : lorsqu’il s’agit de la réalisation de la justice au sens de la nyaya, on ne juge pas seulement des institutions et des règles, on juge les sociétés elles-mêmes (31).


L’Afrique du Sud a mis son retrait de la CPI sur le compte de son incompatibilité avec la vision de la Cour en matière de résolution des conflits et de son exclusion de la paix lors de l’examen des questions de justice.


« La République d’Afrique du Sud a constaté que ses obligations en matière de résolution pacifique des conflits sont parfois incompatibles avec l’interprétation donnée par la Cour pénale internationale... Dans les négociations de paix complexes et à multiples facettes et dans les situations post-conflit délicates, la paix et la justice doivent être considérées comme complémentaires et non mutuellement exclusives », peut-on lire dans la déclaration officielle du retrait de l’Afrique du Sud de l’instance, signée le 10 octobre 2016 par la ministre des Relations internationales et de la Coopération, Maite Nkoana-Mashabane.


La vision de l’Afrique du Sud est un signal d’alarme. La réalisation d’un cadre pour une voix de la raison qui englobe à la fois la niti et la nyaya lorsqu’il s’agit de justice est un moyen efficace de contrer l’omniprésence de la déraison.




Références

1 Dapo Akande, ‘What exactly was agreed in Kampala on the crime of aggression?’, dans Equality of Arms Review, International BarAssociation, Volume 2, Numéro 2, novembre 2010.


2 Juan Branco, ‘De l’affaire Katanga au contrat social global : un regard sur la Cour pénale internationale’. Thèse de doctorat en droit, 26-11-2014.


3 Rapport de l’ONU sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesse de la RDC, octobre 2002, p 23.


4 Rapport spécial sur les événements d’Ituri (janvier 2002-décembre 2003), doc. S/2004/573


5 Koen Vlassenroot, Sandrine Perrot et Jeroen Cuvelier, ‘Doing business out of war, an analysis of the UPDF’s presence in the DemocraticRepublic of Congo’, Journal of Eastern African Studies Vol. 6, No. 1, février 2012.


6 L’ancien vice-président et candidat à la présidence congolaise de 2006, Jean-Pierre Bemba, a été arrêté en 2008. Bemba est également poursuivi devant la CPI, pour des événements survenus non pas en RDC, mais en République centrafricaine, du 25 octobre 2002 au 15 mars 2003.


7 On pense que les premiers habitants de l’Ituri sont les pygmées Mbuti, qui vivent toujours dans la forêt tropicale de l’Ituri.


8 Juan Branco, op. cit.


9 Élisabeth Claverie, ‘Vivre dans le “combattantisme”: Parcours d’un chef de milice en Ituri (RDC)’, Terrain, septembre, 2015.



11 Juan Branco, “De l’affaire Katanga…”, op.cit.


12 C’est à l’université de Kisangani que Lubanga démarre sa carrière politique avec le seul parti autorisé dans l’État unipartite du Zaïre, le Mouvement populaire de la révolution (MPR). Lorsque le multipartisme est instauré, il choisit l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le principal parti politique d’opposition en République démocratique du Congo (RDC) fondé par le docteur Étienne Tshisekedi, où il est élu président des jeunes pour la région de l’Ituri. Alors que le chômage ravage la région, Lubanga, comme beaucoup de jeunes Congolais, se tourne vers l’exploitation minière artisanale, avant de tenir un stand au marché central de Bunia où il vendait des haricots. Pendant la deuxième guerre du Congo, Lubanga était commandant militaire et « ministre de la défense » au sein du Rassemblement congolais pour la démocratie - Mouvement de libération (RCD-ML), un parti pro-ougandais. Lubanga a fondé l’UPC en 2001 mais il a été lâché par son allié ougandais en 2002 et s’est donc tourné vers le Rwanda pour obtenir un soutien. Après la prise de Bunia, il a fui à Kigali avant de lancer une nouvelle attaque en Ituri, jusqu’à ce qu’il décide de rejoindre le programme de désarmement.


13 « La Chambre de première instance a conclu que de juillet 2002 au 2 juin 2003, le conflit était de caractère international, en raison de la présence de l’Ouganda en Ituri. Elle a en outre statué que du 2 juin 2003 à la fin du mois de décembre 2003, le conflit était de caractère non international », dans http://www.ibanet.org/ICC_


14 Le Congo a entamé une révision du code minier de 2002 en 2012, et a proposé en 2015 le relèvement de l’impôt sur les bénéfices de 30 à 35 %, l’augmentation de la part gratuite de l’État dans les nouveaux projets miniers de 5 à 10 % et la hausse des royalties de 2 à 3,5 % du chiffre d’affaires réalisé sur le cuivre et le cobalt. Pourtant, malgré la pression exercée par les activistes en faveur de réformes du code minier, ces propositions ont été abandonnées depuis. http://www. mining.com/activists-urge-congo-government-to-pass- new-mining-code/


15 Alain Denault, Noir Canada, Pillage, corruption et criminalité en Afrique, écosocieté, Montréal, 2008. p 134 https://www.researchgate.net/publication/307638549_Noir_Canada_Pillage_Corruption_et_Criminalite_en_Afrique


16 Tamm Henning, L’UPC en Ituri: Militarisation externe de la politique locale dans le nord-est du Congo, Institut de la Vallée du Rift 2013. p 38


17 Juan Branco, “De l’affaire Katanga …”, op. cit.


18 Boniface Musavuli, Les Génocides des congolais, De Léopold II à Paul Kagame, éditions Monde Nouveau, Vevey, Suisse, 2016.p 192


19 Ibid p 115


20 Juan Carrero, entrevue avec l’auteur, Majorque, Espagne, 2014.


21 Ted Dagne, ‘The DRC: Background and current developments’, Congressional Research service, 3 décembre 2008.


22 Nicoletta Fagiolo, What is Human Rights Watch watching? Originally published for nsnbc https://www.academia.edu/40085234/What_is_Human_Rights_Watch_watching


23 Nicoletta Fagiolo: Laurent Gbagbo and the right to "difference" https://www.resetdoc.org/story/laurent-gbagbo-and-the-right-to-difference/ ; Things still fall apart, the politics of memory in Côte d’Ivoire https://archive.discoversociety.org/2015/06/03/things-still-fall-apart-the-politics-of-memory-in-cote-divoire/; The dangerous idea of non-violence in Côte d’Ivoire ; ‘The Gbagbo case. https://www.academia.edu/40084216/The_dangerous_idea_of_non_violence_in_the_history_of_Co_te_d_Ivoire ; When international justice becomes arbitrary’ https://www.resetdoc.org/story/the-gbagbo-case-when-international-justice-becomes-arbitrary/


24 Fanny Pigeaud, ‘La Côte d’Ivoire en zone de turbulences’, Mediapart, 8 janvier 2017 https://www.mediapart.fr/journal/international/080117/la-cote-d-ivoire-en-zone-de-turbulences?onglet=full


25 La CPI a inculpé 32 personnes à ce jour, or seize seulement sont venues à La Haye. Ils sont tous africains : Joseph Kony, Vincent Otti, Raska Lukwiya, Okot Odhiambo, Dominic Ongwen (Uganda) ; Thomas Lubanga, Germain Katanga, Mathieu Ngudjolo Chui, Bosco Ntaganda, Sylvestre Mudacumura et Callixte Mbarushimana (RDC) ; Jean-Pierre Bemba (RCA) ; Ahmed Harun, Ali Kushayb, Omar el-Béchir, Bahr Idriss Abu Garda, Abdallah Banda Abakaer Nourain, Saleh Mohammed Jerbo Jamus, Abdel Raheem Muhammad Hussein (Soudan) ; William Ruto, Joshua Sang, Francis Muthaura, Uhuru Kenyatta, Henry Kiprono Kosgey et Mohammed Hussein Ali (Kenya) ; Laurent Gbagbo, Simone Gbagbo et Charles Blé Goudé Côte d’Ivoire) ; Mouammar Kadhafi, Seif al-Islam Kadhafi et Abdullah Al-Senussi (Libye) ; M. Al Mahdi (Mali). A ceux-là s’ajoutent d’autres mandats d’arrêt délivrés par la CPI, comme en octobre 2013, lorsque la Cour a porté trois chefs d’accusation contre un citoyen kényan, Walter Osapiri Barasa, pour subornation de témoin, déclarant que le Kenya a désormais l’obligation de l’arrêter. Par ailleurs, quatre des avocats de Bemba comparaissent en justice pour des allégations de subornation de témoins.


26 Trois affaires, invoquant l’insuffisance d’éléments de preuve à charge, n’ont pas été confirmées lors de la phase préliminaire : celles de Henry Kiprono Kosgey et Mohammed Hussein Ali du Kenya, et d’Abu Garda du Soudan ; dans deux affaires kenyanes, les charges ont été retirées : celles de Francis Kirimi Muthaura et d’Uhuru Muigai Kenyatta ; deux autres affaires kenyanes ont été classées, celles de William Ruto et de Joshua Arap Sang, pour insuffisance de preuves.


27 Un membre du groupe de Kony, Dominic Ongwen, a été arrêté récemment en République centrafricaine et fait face à des accusations devant la CPI. Le 23 mars, la CPI a confirmé 70 chefs d’accusation de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité à l’encontre de Dominic Ongwen, ancien enfant-soldat devenu haut commandant de l’ARS. Le procès a débuté en décembre 2016.


28 David Hoile, Justice Denied, The reality of the International Criminal Court, Africa Research Center, Londres, 2014. p 248


29 Patrick Mbeko, Objectif Kadhafi: 42 ans de guerres secrètes contre le Guide de la Jamahiriya arabe libyenne, Broché,Paris, 2016.


30 Trois affaires ont été clôturées par une condamnation à la CPI : celles de Germain Katanga et Thomas Lubanga, que nous avons brièvement évoquées, qui font tous deux l’objet d’un nouveau procès dans leur pays d’origine, et le cas du malien Al Mahdi, membre allégué d’Ansar Dine, un mouvement purement touareg associé à Al-Qaïda au Maghreb islamique (« AQMI »), qui a plaidé coupable de la destruction de 10 monuments historiques et religieux à Tombouctou (9 mausolées et la porte de la mosquée de Sidi Yahia) entre juin 2012 et juillet 2012. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement de 9 ans.


31 Amartya Sen, L’idée de Justice, Harvard University Press, Cambridge Massachusetts, 2009. Préface et p 9.







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