Le footballeur Smaïla Sarr a célébré son but pour le Sénégal lors de la Coupe du monde le 2 décembre 2022 en se couvrant les yeux et en pointant un doigt sur sa tête,imitant une arme à feu. Sarr a expliqué sur Twitter que ce geste symbolise le mépris du monde pour les atrocités qui se déroulent en Afrique, notamment en République démocratique du Congo.
Le 3 janvier 2024, une nouvelle est devenue virale sur les réseaux sociaux, à savoir qu'Israël était en pourparlers avec la République démocratique du Congo pour accueillir des réfugiés palestiniens. Cette nouvelle est apparue un jour après que le département d'État américain a qualifié d'incendiaires et d'irresponsables les déclarations des ministres israéliens Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir en faveur de la réinstallation de Palestiniens en dehors de Gaza.
Ce qui est profondément déconcertant dans cette nouvelle non confirmée et bizarre, c'est que la Palestine et la République démocratique du Congo partagent une histoire contemporaine commune de conquête, d'occupation, de déplacement forcé, de dépossession des terres et de génocide.
Tout comme il y a la Nakba palestinienne et la Nakba palestinienne actuelle, la RDC, qui s'appelait alors Zaïre, a également sa Nakba et vit une Nakba actuelle : le 17 mai 1997 a vu la chute du régime de 32 ans de Mobutu Sese Seko et a marqué le début d'une occupation permanente de la partie orientale du pays. L'historien congolais Boniface Musavuli l'a appelé le jour de la Nakba.
Cette année-là, les archives nationales ont été pillées par la milice proxy, connue sous le nom d'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), composée principalement de soldats des armées ougandaise et rwandaise, mais faussement présentée dans les médias traditionnels comme un mouvement de libération congolais. Les archives de l'État congolais ont également été saisies et transférées à Kigali, au Rwanda. "La guerre n'était pas une guerre de libération. C'était une guerre pour accaparer les ressources du Congo et sa liquidation en tant qu'État", écrit Musavuli. Des millions de civils ont été massacrés.
Le 29 décembre 2023, l'Afrique du Sud a déposé une requête détaillée auprès de la Cour internationale de justice accusant Israël de commettre un génocide à Gaza, en violation de la Convention sur le génocide de 1948 qui définit le génocide comme "des actes commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux." Pourtant, le porte-parole du département d'État, Matthew Miller, a déclaré le 3 janvier que les États-Unis n'avaient pas observé à Gaza d'actes constituant un génocide et le porte-parole du Conseil national de sécurité, John Kirby, a qualifié l'affaire de l'Afrique du Sud sans fondement en réponse à une question posée lors d'un point de presse à la Maison Blanche. "L'Holocauste, au cours duquel six millions de Juifs ont été tués, est à l'origine du traité qu'Israël est aujourd'hui accusé de violer", soulignent deux experts en droit international, Alaa Hachem et Oona A. Hathaway.
Hachem et Hathaway résument le procès : "La requête de l'Afrique du Sud soutient que les dommages infligés par la campagne militaire israélienne contre Gaza depuis le 7 octobre constituent des actes génocidaires. Elle affirme qu'Israël a "tué plus de 21 110 Palestiniens nommément désignés, dont plus de 7 729 enfants - plus de 7 780 autres étant portés disparus, présumés morts sous les décombres - et a blessé plus de 55 243 autres Palestiniens" et qu'"Israël a également dévasté de vastes zones de Gaza, y compris des quartiers entiers, et a endommagé ou détruit plus de 355 000 habitations palestiniennes". La requête condamne sans ambiguïté le ciblage de civils par le Hamas et la prise d'otages du 7 octobre, mais affirme qu'"aucune attaque armée contre le territoire d'un État, quelle que soit sa gravité - même une attaque impliquant des crimes d'atrocité - ne peut justifier ou défendre des violations" de la Convention sur le génocide. Si la requête porte essentiellement sur la conduite d'Israël depuis le 7 octobre 2023, elle examine le "contexte plus large de la conduite d'Israël à l'égard des Palestiniens pendant les 75 ans d'apartheid, les 56 ans d'occupation belligérante du territoire palestinien et les 16 ans de blocus de la bande de Gaza". L'affaire sera entendue les 11 et 12 janvier 2024 par la CIJ.
La République démocratique du Congo subit un génocide néocolonial depuis 1996. Ce génocide a toutefois été précédé d'un génocide colonial : sous le règne de terreur du roi Léopold II de Belgique, qui a régné sur l'État libre du Congo de 1885 à 1908, la population du Congo a été réduite de moitié - pas moins de 10 millions de Congolais ont perdu la vie. Ce génocide fait l'objet d'un livre publié en 1998, King Leopold's Ghost : A Story of Greed, Terror and Heroism in Colonial Africa (Les Fantômes du roi Léopold: Le terreur coloniale dans l'Etat du Congo, 1884-1908) de Adam Hochschild.
En octobre 2001, le ministère des droits de l'homme de la RDC a publié un livre blanc dénonçant les crimes subis par le Congo au cours des trois années d'agression dont le pays a fait l'objet et qu'il a qualifié de génocide à huis clos. L'auteur du rapport et ministre des droits de l'homme de la République démocratique du Congo à l'époque, Alphonse Daniel Ntumba Luaba Lumu, a inventé le terme de statocide pour expliquer la forme extrême de l'agression subie par le Congo. Lamu écrivait en 2001 : "cette agression, qui s'est accompagnée de graves violations des droits de l'homme, s'est distinguée dans la partie orientale de la République par des massacres, meurtres, assassinats et autres atrocités dont la cruauté, la similitude et l'efficacité des méthodes et techniques utilisées ont fini par convaincre les observateurs impartiaux de la scène internationale du caractère prémédité et planifié de ces actes ainsi que de la finalité de la démarche."
Plus récemment, en 2013, Noam Chomsky et Andre Vltchek ont écrit un livre On western terrorism, From Hiroshima to Drone Warfare (L'occident terroriste: D'Hiroshima à la guerre des drones) et ont parlé d'un super génocide en RDC : "quelque chose qui pourrait facilement rivaliser avec ce qui a été fait au Congo par Léopold II il y a un siècle." À l'époque, ils avançaient déjà des chiffres allant jusqu'à huit ou dix millions de morts civils. Ils écrivaient il y a onze ans : " le pays est pillé par le Rwanda et l'Ouganda au nom d'intérêts occidentaux, le pire génocide depuis la Seconde Guerre mondiale, une dissimulation absolue, ne bénéficiant pratiquement d'aucune couverture médiatique en Occident."
Les rapports de l'ONU publiés deux fois par an depuis 2001 dénoncent l'exploitation illégale des ressources naturelles qui accompagne cette guerre d'agression sans relâche. Le rapport Mapping publié seulement en 2010, qui couvre les crimes commis jusqu'en 2003, fait référence à certains des incidents révélés comme pouvant être qualifiés d'actes de génocide.
En 2023, l'historien franco-camerounais Charles Onana a écrit Holocauste au Congo, l'omertà de la communauté internationale, qui met en évidence, grâce à une recherche minutieuse dans les archives, le montage intentionnel mis en place depuis 1994, qui a permis à l'occupation et au génocide de se poursuivre depuis maintenant près de trois décennies. Des événements concernant Holocauste au Congo ainsi qu'un film réalisé et produit par Gilbert Balufu, Congo, le silence des crimes oubliés, ont été lourdement censurés l'année dernière tant aux États-Unis qu'en Europe.
Les tentatives d'aborder le génocide congolais dans les forums juridiques internationaux abondent : par exemple une plainte pour actes d'agression armée contre le Rwanda et l'Ouganda, agissant en tant que proxy des États-Unis dans la région, a été déposée auprès de la Cour internationale de justice (CIJ) dès 1999. Seul l'Ouganda a finalement été condamné en 2005 par la CIJ. Pourtant, la question n'a pas été résolue jusqu'en 2021. La CIJ a de nouveau demandé à l'Ouganda de payer un total de 330 millions de dollars US pour la perte de vies humaines, de ressources naturelles et de dommages matériels. Le Rwanda, par le biais de ses nombreuses milices mandataires (AFDL, RCD-Goma, CNDP, M23, ADF) qui ont semé et continuent de semer le chaos dans la région, a échappé à toutes les mesures efficaces visant à sanctionner les nombreuses violations des droits de l'homme qui ont été documentées.
Aujourd'hui, la RDC a vu, depuis 1996, plus de 12 millions de civils massacrés, près de 7 millions de personnes déplacées à l'intérieur du pays et 500, 000 femmes violées.
Récemment, tant en Palestine qu'en République démocratique du Congo, le système néocolonial des colons est devenu plus agressif, adoptant une approche de terre brûlée. Il s'agit dans les deux cas de guerres d'agression internationales. Les deux peuples font également preuve d'une résilience et d'une résistance extraordinaires lorsqu'ils sont confrontés à ces formes extrêmes de violence, et pourtant, jusqu'à présent, le monde n'a pas réussi à les protéger.
Il est urgent de reconnaître ces génocides contemporains, d'y faire face et de prendre des mesures pour y mettre fin.
Traduit de l'Anglais par Sergio Samba Ebona
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