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  • Writer's pictureNicoletta Fagiolo

LES REBELLES EX NIHILO DE L'EST DU CONGO


Les FARDC et leur commandant direct, le colonel Chicko Tshitambue (2e à droite), sortent leur jeep de la boue sur la route près de Sake, Nord Kivu, 2006. Copyright Keith Harmon Snow.


LES REBELLES EX NIHILO DE L'EST DU CONGO Juin 2018


La guerre dans l’est de la République démocratique du Congo est de loin la pire crise en termes de nombre de personnes tuées ou déracinées, devant la Syrie, le Yémen et d’autres régions ravagées par les guerres au 21e siècle. Et pourtant, elle fait rarement les gros titres de la presse internationale. La récente flambée de violence extrême qui a commencé à la fin de l’année 2014 à Beni, dans le Nord-Kivu, une région riche en ressources pétrolières et minérales dans l’est du pays, à la frontière avec l’Ouganda, s’inscrit dans le cadre d’une guerre qui sévit dans la région depuis 1996 et qui a causé la mort de près d’un million de réfugiés hutus rwandais et de plus de 10 millions de Congolais[1].


Dans le livre à paraître Congo’s Beni massacres, Fake Islamists, Rwandan Unending Occupation, Boniface Musavuli, diplômé en droit de l’Université de Lyon, lève le voile sur de nombreux mythes. Ses analyses acquièrent de l’authenticité grâce à des sources aussi variées que les entretiens personnels avec des hommes politiques et des experts régionaux[2] ; les témoignages de personnes qui ont été sur la ligne de front de cette guerre ; les rapports de l’ONU ; les journaux locaux et internationaux ; les rapports d’ONG locales et internationales ; les sites de médias sociaux ; les déclarations d’autorités locales, ainsi que les éléments de preuve révélés lors de récents procès militaires régionaux.


Les médias grand public congolais et internationaux, ainsi que des rapports d’experts, ont attribué les récents massacres de Beni à une ancienne rébellion ougandaise, les Forces alliées démocratiques (Allied Democratic Forces, ADF), soulignant souvent ses liens avec le jihad international. Cependant, en présentant l’histoire et les principales caractéristiques du mouvement, Musavuli révèle comment, à partir d’avril 2014, l’ADF de Jamil Mukulu, qui intervenait dans la région depuis deux décennies, a été dissoute après la fuite de son leader, qui a été arrêté par la suite en Tanzanie.


Des ADF historiques de la région, il reste à peine une trentaine de combattants, face à une mission de l’ONU forte de 20 000 hommes et aux déploiements de l’armée congolaise (connue sous le nom de Forces armées de la République démocratique du Congo ou FARDC).


Alors, s’interroge Musavuli, qui sont ces rebelles venus de nulle part, appelés ADF, accusés par le gouvernement de Kinshasa d’être à l’origine des massacres de Beni, mais présentés autrement par la population locale et les personnes qui ont survécu à leurs attaques ? L’ethnie Nande et ses représentants dans la région sont-ils particulièrement visés ?


Un rapport de 2015 du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) pointe du doigt l’implication directe d’éléments de l’armée nationale congolaise, les FARDC, dans les massacres. Musavuli étudie le processus historique qui a conduit au phénomène de l’arrivée d’unités des FARDC composées à une forte majorité de soldats rwandophones dans l’est du pays, créant ainsi une armée dans l’armée. Ce processus, principale cause de l’instabilité, a commencé avec l’Accord global et inclusif sur la transition en République démocratique du Congo, signé à Pretoria en décembre 2003, et a permis de maintenir l’impunité pour ces crimes.


Selon l’expert militaire Jean-Jacques Wondo, cité par Musavuli, les régiments des FARCD impliqués dans les massacres actuels sont principalement constitués de soldats de l’ancien mouvement armé tutsi rwandais, le Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP) de Laurent Nkunda, et de son successeur Bosco Ntaganda, le M23.


Ces rebelles ex nihilo, des combattants par procuration, n’ont pas de programme de société ni de griefs fondés. Ils constituent plutôt un déploiement politico-militaire bien armé de soldats rwandais et ougandais sur le sol congolais.


Dès lors, imputer les tueries aux éléments des FARDC est une inexactitude, à la lumière des opérations telles que l’opération conjointe FARDC-Forces de défense du Rwanda (Rwanda Defence Force, RDF), l’armée nationale rwandaise, contre les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), baptisée Umoja wetu, lancée en janvier 2009 à la suite du processus de paix de Goma. Par contre, en établissant les biographies individuelles des personnages clés, comme l’a fait l’auteur, on peut cerner de plus près l’identité des principaux coupables du drame récent.


Pour tenter d’expliquer l’afflux migratoire excessif dans l’est du Congo d’aujourd’hui, Musavuli examine la politique intérieure dramatique du Rwanda – par exemple, les disparitions inexpliquées de cinquante mille Rwandais en 2014, ainsi que de trente mille prisonniers Hutus rwandais condamnés aux travaux forcés – pour trouver de possibles explications.


Tout comme le terme ADF est utilisé aujourd’hui comme une fausse bannière, l’invention de l’affaire Banyamulenge en 1996 a servi de prétexte à l’invasion du Rwanda, en forgeant un mythe en vue d’entamer ce que l’on appelle la première guerre du Congo, qui a renversé Mobutu Sese Seko après trente-deux ans de pouvoir.


Dès le milieu de l’année 1996, le vice-président rwandais de l’époque, Paul Kagame, et le président ougandais, Yoweri Museveni, ont décidé de créer une force par procuration, l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (ADFL), et lui ont donné une apparence congolaise en nommant Laurent Désiré Kabila à sa tête. L’histoire diplomatique corrobore le soutien financier et logistique des Etats-Unis à l’ADFL ; on peut citer, par exemple, les remarques de l’ambassadeur américain Bill Richardson devant la Commission des Relations Internationales de la Chambre en novembre 1997.


Le prétexte de l’invasion du Zaïre de Mobutu était de vider les camps de réfugiés qui abritaient 1,5 million de réfugiés, principalement Hutu, qui ont fui l’avancée du Front patriotique rwandais au Rwanda. La réalité sur le terrain ressemblait plus à une agression : dès les 4 et 5 juin 1996, le Zaïre a demandé une réunion d’urgence du Conseil de sécurité des Nations unies, au sujet des incursions à Bunagana, dans la province du Nord-Kivu, par une force ougandaise ; des soldats rwandais ont attaqué un hôpital à Lemera, dans le Sud-Kivu les 4 et 5 octobre 1996, tuant des patients et des membres du personnel. Plusieurs ONG locales telles que le Groupe Jérémie, l’archevêque de Bukavu Christophe Munzihirwa ainsi que d’innombrables manifestants ont dénoncé une invasion rwandaise imminente.


Dans ce contexte surchauffé, le 8 octobre 1996, le vice-gouverneur du Sud-Kivu Lwabandji Lwasi Ngabo a annoncé la création d’un corridor humanitaire pour évacuer les populations Tutsi et non Tutsi, telles que les Babembe, les Bafuliro et d’autres groupes ethniques vivant dans les Haut Plateaux, une zone sous la menace d’attaque par le Rwanda. Lwabandji Lwasi voulait évacuer ces populations pour leur sécurité. Sa déclaration a été reprise par les médias internationaux et littéralement inversée : il est accusé de menacer de brûler les collines et de chasser du Sud-Kivu tous les réfugiés Tutsi (connus dans cette région sous le nom de Banyamulenge). Depuis lors, Lwasi, qui vit en exil, a également remporté un procès en Belgique, établissant la véracité de sa version des faits dans son discours d’octobre 1996. Pourtant, c’est la version déformée des événements qui est consignée à ce jour dans la plupart des rapports et des livres d’histoire faisant autorité sur le Congo[3].


Le 2 novembre 1996, au moment même où l’Armée patriotique rwandaise occupait Goma, au Nord-Kivu, le ministre rwandais des Affaires étrangères, Anastase Gasana, déclarait « sans sourciller : si l’armée zaïroise continue à nous provoquer, nous avons le droit de nous défendre. À l’évidence, l’agresseur a prétendu être agressé afin de justifier son agression », écrit l’expert des Grands Lacs Filip Reyntjens sur les débuts de la première guerre du Congo[4].


Le professeur Georges Nzongola-Ntalaja, éminent politologue africain et auteur du livre Le Congo de Léopold à Kabila : une histoire populaire, revient sur le début de la deuxième guerre du Congo en 1998 : « Le 6 août, Ernest Wamba dia Wamba m’a appelé de Kigali pour me demander de l’y rejoindre au plus vite, afin que nous puissions aller à Goma et mener la rébellion contre Kabila ». Le professeur Nzongola-Ntalaja se souvient d’avoir demandé à Wamba dia Wamba quelques jours de réflexion avant de lui donner une réponse, et lorsqu’il l’a rappelé, un homme qui ne parlait pas français et qui se faisait appeler Don, lui a répondu qu’ils l’attendaient. Nzongola-Ntalaja, plutôt contrarié, a laissé un message à son ami de longue date, Wamba dia Wamba : « Dites-lui que je ne peux pas me joindre à quelque chose qui est guidé de l’extérieur ». Don, continue Nzongola-Ntalaja, n’était « personne d’autre que l’officier militaire rwandais qui était le second de James Kabarebe et qui est présumé responsable du massacre des civils Hutu à Mbandaka »[5].


C’est également en raison de rapports inexacts sur les événements que le Conseil de sécurité des Nations unies n’a condamné le Rwanda et l’Ouganda pour leurs incursions transfrontalières au Congo que le 16 juin 2000.


Les guerres d’agression dans l’est du Congo depuis 1996 sont allées de pair avec une guerre de l’information réussie, fournissant un prétexte à la présence des rebelles combattant par procuration, soutenus par les Etats-Unis, le Rwanda et l’Ouganda (ADFL, RCD, CNDP, M23). Des prétextes fallacieux, tels que la caractérisation de la guerre comme une guerre de libération puis comme une guerre civile; la nécessité d’éliminer la menace provenant des concentrations de réfugiés et plus tard des FDLR ; les populations Tutsi vivant au Congo et ayant besoin de protection ; la nécessité de démanteler les terroristes ougandais au Congo et, plus récemment, la menace jihadiste des ADF.


Ces mythes s’effondrent lorsqu’ils sont confrontés à une analyse historique et des éléments probants rigoureux. Les massacres de Beni au Congo nous rapproche des réponses aux questions sur ce que Noam Chomsky et André Vltchek ont appelé le super-génocide du Congo, en démasquant les principaux auteurs de ces crimes et les formes de violence qu’ils commettent sur le terrain.


Article publié en Anglais sur Discover Society, Juin 2018 https://archive.discoversociety.org/2018/06/05/eastern-congos-ex-nihilo-rebels/


Notes et références :

[1] Selon les représentants de la société civile de Beni dans la région, au moins 3 575 civils ont été tués et 3 877 enlevés depuis octobre 2014.

[2] Publication à paraître : Boniface Musavuli, Congo’s Beni massacres, Fake Islamists, Rwandan Unending Occupation ; Préface de Georges Nzongola-Ntalaja, Postface et traduction Nicoletta Fagiolo, Amazon, 2018. Musavuli est également l’auteur de l’ouvrage Les génocides des Congolais - De Léopold II à Paul Kagame, Editions Monde Nouveau/Afrique Nouvelle, Suisse, 2016.

[3] Dans une récente interview en 2015, Lwabandji Lwasi Ngabo a révélé les noms des zones [...] citées dans son discours de 1996. Ces zones se trouvent toutes plus loin de la frontière rwandaise, au plus profond du territoire congolais.

[4] Filip Reyntjens. La grande guerre de l’Afrique : le Congo et la géopolitique régionale, 1996-2006 (Kindle Locations 639-641). Édition Kindle.

[5] Georges Nzongola-Ntalaja, Le Congo de Léopold à Kabila: une histoire populaire, Zed Book, Londres et New York, 2002. p. 228-229

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